lundi 31 octobre 2011

Toile : The ballad of Genesis and lady Jaye... De Marie Losier.

Djin B. P-Orridge

Un documentaire de 1h12 sur le couple Genesis et Lady Jaye des années 2000, en fait le film de Marie Losier s'est fait sur une idée de Lady Jaye : elle voulait qu'on se souvienne de leur très belle histoire d'amour.

J'ai donc appris en voyant le film que Genesis Breyer P-Orridge (l'époux) était un artiste majeur des années 70 à New-York et le père de la musique industrielle (musique électronique très dissonante et expérimentale), son épouse était beaucoup plus jeune que lui et très jolie : "elle était d'une beauté frappante, c'était la seule chose que nous n'avions pas en commun".

Ils se sont rencontrés, aimés, adorés, nous apprenons tout dans le film de leur volonté de fusionner, de ne faire qu'une seule personne, de se dévorer, de se ressembler. pour cela ils ont eu recours à la chirurgie esthétique, ils voulaient se fondre dans le même corps.

Genesis Breyer s'est fait poser des implants mammaires, corrigé un peu sa bouche, ils ont rectifié leurs nez, pour être plus proches, pandrogyne (deux parties d'un nouvel être). Ils pouvaient porter les mêmes vêtements, elle avait commencé par le féminiser, même pointure, même taille, ils se sentaient bien dans leurs peaux. Lady Jaye a voulu qu'il reste une trace de ce qui leur arrivait dans cet amour fulgurant, dévorant.



Tout ce temps de la transformation est inséré dans le film, mais pas seulement, on est immergé dans le décor de leur vie... La musique, le groupe de rock auquel ils appartiennent, les tournées, leur vie de tous les jours, dans la lumière, les paillettes, la vitesse, le bruit et la fureur, et l'amour, bien sûr.

Le film passe à 40000 images secondes, si bien que il faut toujours avoir les yeux dans tous les coins, et la cervelle en ébullition, c'est dur ! (pour moi)... Car je ne connaissais rien à cette musique, rien à ces personnages, tout est à découvrir en 1h12...

Le film ressemble à une partition musicale, les images remplacent les notes, ça va vite, ça hurle, ça surprend, il m'a laissée loin derrière lui... Car pendant que je réfléchissais, les images défilaient, de plus la caméra sur l'épaule faisait que ça bougeait, sautait, dansait, et moi je faisais du sur-place.

Je sentais bien que ces deux personnages étaient passionnants, fous, en dehors des normes, très attachants.

Je ne connaissais rien à rien de ce qui m'était montré, il fallait tout rentrer en même temps dans mon cerveau, j'ai eu du mal...

J'ai été bouleversée par cette volonté de transformation par amour, tout le monde le pense, le souhaite, mais personne ne le fait (heureusement...) d'une façon aussi radicale.

Lady Jaye est morte très jeune, d'un brusque arrêt cardiaque des suite d'un cancer à l'estomac, ce film est un trésor pour son compagnon, une oeuvre d'art à part entière de Marie Losier qui ne s'est pas contentée de filmer d'une façon linéaire la vie et l'oeuvre de ce couple original. Elle y a rendu possible "le miroir au delà du miroir, le tournage du tournage de ce que nous étions en train de vivre", elle a  fabriqué un documentaire passionnant et émouvant.

S'il passe par chez vous, laissez-vous tenter par cette pépite étonnante. Bon film.

samedi 29 octobre 2011

Les chants traditionnels italiens et Starmaniaks, variation allumée..


La chorale s'installe dans la rue

Certains étaient venus en train, d'autres en voiture, presque toute ma chorale était au rendez-vous, pour chanter dans les rues d'une petite ville, Langres (Champagne-Ardennes), pas très loin de Dijon, pas de problème pour nous produire, depuis 20 ans que nous le faisons, nous sommes rompus à tout... Pour chanter notre beau répertoire de chants traditionnels italiens, on est prêt à aller au bout du monde.. Justement, notre chef de choeur nous avait proposé de venir faire de la "pub" pour un atelier de chants traditionnels italiens qu'elle ouvrait dans le coin, on a répondu "oui" tout de suite, on arrive, elle nous avait trouvé des dortoirs d'internat pour deux nuits et de nombreuses heures de rigolades et de joie. Nous avons fait les scouts pendant deux jours, c'était parfait pour nous.

Nous avons eu énormément de chance, la rue principale de la ville, très commerçante, était fermée pour cause de travaux et les habitants qui venaient faire leurs courses ne pouvaient pas nous échapper..
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Les chants italiens

Nous avons chanté avec enthousiasme, il faisait beau, chaud, un vrai été indien (italien), les gens s'arrêtaient, ravis d'écouter des chants inconnus, l'atelier avait de beaux jours devant lui, et nous avons su après que des inscriptions s'étaient faites sur nos démonstrations vocales...

Nos "prestation"s terminées, nous avons eu le loisir de visiter cette belle petite ville en long, en large et en travers, la ville est très petite, entourée de remparts, en quelques heures on est bien repassé plusieurs fois au même endroit.




Diderot par-ci Diderot par-là, tout le monde en est fou à Langres

Langres est la ville de naissance de Diderot, et même si vous l'ignorez, tout ici vous le rappelle, en 2013 ça sera même l'année Diderot, un tricentenaire, ça se fête ! La municipalité, la région ont donc prévu un cortège de festivités, personne ne s'en plaindra, Diderot est partout dans la ville... Ancien archevêché, la ville est sous la protection de la Vierge Marie, des quantités de petites sculptures ornent les niches sur les façades des maisons, comme en Avignon.




Les Vierges des maisons de Langres

La ville est riche d'un patrimoine magnifique, allant de la Renaissance aux 17/18e siècles, les remparts sont une promenade délicieuse avec un paysage subtil qui se profile au loin, qu'il y ait du soleil ou de la brume, c'est aussi beau à voir, mais je préfère le soleil pour la lumière et la chaleur.

Aujourd'hui, Langres est une ville qui se meurt, beaucoup de commerces sont à vendre, trouver un appartement à louer, pas cher, est un jeu d'enfant...

Mais la vie culturelle est riche en évènements... Après avoir chanté dans la rue, nous sommes allés au théâtre de la Forgerie à Wassy (1 bonne heure en voiture de Langres quand même)...Voir une variation allumée autour des chansons de Starmania, Starmaniaks !



Le lieu du drame au théâtre de Wassy

Imaginez, treize comédiens-chanteurs amateurs, venus d'horizons différents, trois professionnelles du spectacle : une metteuse en scène (Anne-Laure Lemaire) une compositrice-chanteuse (Eléonore Bovon) et une chorégraphe (Céline Champmartin), tricotant à 32 mains une nouvelle version totalement allumée de la célèbre comédie musicale de Michel Berger "Starmania", fruit du travail d'une année, dans un atelier de théâtre musical à Langres...






Les artistes sur scène

Tout est tiré du Starmania original, paroles (Luc Plamandon) et musiques (Michel Berger), la même tristesse des temps moderne, SOS de terriens en détresse, 20 chansons avec des arrangements polyphoniques, des costumes pleins d'originalité et d'humour, un peu Deschiens, un peu cabaret... Une mise en scène chorégraphiée qui situait toute l'action dans un café...


Jeu d'actrices

Et voilà nos comédiens-chanteurs qui nous transportent dans les malaises de la vie moderne des années 80, qui ressemblent tellement à ceux des années 2000, avec brio, aisance, drôlerie, tristesse, chacun était le (les) personnage(s) incarné(s) devant nos yeux.

La joie, la fantaisie, l'humour, le chant, la danse, et l'émotion intacte du début... Jusqu'à la fin... Un tonnerre d'applaudissements dans la salle et un tonnerre aussi au foyer du théâtre, juste après la grande folie des feux de la rampe, une belle soirée, très belle soirée, on mange un bout, on boit, on reste encore un peu, l'amitié, le bonheur se lisent sur tous les visages : "amateurs", professionnels, heureux d'avoir fabriqué ça ensemble, si bien, si beau, si émouvant.


La sortie des artistes


Les applaudissements au foyer

Impossible de se quitter, la troupe s'embrasse, se congratule, va chercher les critiques, les : "ça a été ? C'était bien ? On n'a pas trop raté ?" Rien du tout, c'était excellent, je reviens vous voir le 26 novembre au théâtre de Langres, gardez tout, exactement tout comme ça avec cet enthousiasme, c'était parfait... J'avais surpris à la dérobée les regards émus de la metteuse en scène, de la compositrice-chanteuse et de la chorégraphe sur les Starmaniaks... Qui n'en revenaient pas de leur exploits.

jeudi 27 octobre 2011

Les anges de Reims...



L'ange de la fontaine publique

Quand je suis arrivée à Reims, j'ai tout de suite vu l'ange doré, rutilant, étincelant, presque neuf, il dansait sur une jambe comme le génie de la Bastille qui tient à bout de bras sa torche enflammée, les ailes déployées... À Reims, l'ange doré est une femme qui tient une couronne de lauriers dans ses mains, elle virevolte sur une grande colonne de pierre qui est une fontaine... À la place de l'eau, il y a des fleurs plantées dans les bassins... À Paris, le feu, à Reims les lauriers et les fleurs...

Au bout de la grande avenue piétonne, bordée de restaurants multiples et de grands cafés, on arrive face à la cathédrale... On voit tout de suite qu'elle mérite bien son surnom de "cathédrale martyre", 25 obus lui sont tombés dessus pendant la guerre de 14/18, le chantier de restauration débute en 1919 et dure encore aujourd'hui...


La magnifique, la martyre...

Mais pour son histoire, les dates, les rois, les symboles, tout ce que vous voulez savoir sur elle, voyez les livres, les dictionnaires, les encyclopédies et surtout Internet, ils savent tout, tout, tout, mieux que moi, mille fois mieux que moi.

Ce que j'ai vu, ils ne le savent pas, ce que j'ai éprouvé, je vous le dis maintenant, les beautés de la cathédrale, il faut du temps pour les voir, les observer finement, les incorporer, les emporter avec soi... Elles donnent tout de suite envie de tout  comprendre, de tout connaître des représentations, vous voudriez que chaque sculpture vous soit aussi familière que des visages que vous apercevez sur une vieille photo jaunie, vous devinez le grand-père de vos parents, la grand tante de votre cousine, où sont-ils, que font-ils, comment sont-ils mis ? Comment les sculpteurs du XIIIe siècle (principalement) ont-ils fait pour nous éblouir encore à ce point, comment ont-ils fait pour m'émouvoir aussi  profondément ?

Une émotion intense vous saisit d'abord par les yeux, il faut s'approcher, encore plus près, demeurer sur le parvis, lever haut la tête pour admirer la statuaire de la cathédrale, il y a 2303 statues.


Un des 22 anges des arcs-boutants

Sur les côtés, dans les pinacles, au bout des arcs-boutants, il y a 22 grands anges blancs qui tiennent des symboles dans leurs mains, la cathédrale pourrait bien s'envoler si toutes les ailes de tous les anges disséminés un peu partout dans la pierre se mettaient à battre.



L'ange à côté de Saint Denis qui sourit à l'autre ange


 Détail


 Détail de l'ange qui sourit sur le portail de gauche

Tout le monde connaît les deux anges jumeaux qui sourient, en façade, sur le portail de gauche, l'ange à côté de Saint-Denis (?) et sur le portail principal, l'ange Gabriel de l'Annonciation, à côté de la Vierge Marie. Ils sont dans la même symétrie, à un portail d'écart, voyez leur sourire, l'ange de gauche tourne légèrement la tête vers l'ange qui encadre Saint Denis, l'ange Gabriel à droite incline plus discrètement la sienne, vers la Vierge, ils ont la même coiffure bouclée, portent le même vêtement, une longue tunique serré à la taille qui retombe en plis jusqu'aux pieds ; une cape souple, fermée par une agrafe, couvre leurs épaules, l'ange Gabriel n'a qu'une aile et retient sa cape d'une main, l'ange de gauche a ses deux ailes déployées gracieusement.


L'Annonciation avec l'ange jumeau

Quand je me suis trouvée juste à leurs pieds, j'ai compris qu'ils étaient irrésistibles de beauté et de grâce, la grande simplicité des représentations est totalement émouvante. L'Annonciation si épurée, si touchante : un ange qui sourit à côté d'une Vierge jeune et gracieuse, elle esquisse un tout petit sourire, son regard va droit devant, elle est vêtue d'une soutane qui part des épaules jusqu'aux genoux et d'une jupe qui descend jusqu'aux pieds, un tout petit bout de pied dépasse, un foulard recouvre sa tête et laisse voir ses cheveux sur les côtés.


La visitation

À côté de l'Annonciation, la représentation de la Visitation : la Vierge et Elisabeth, un travail plus en résonance avec les canons antiques, les tissus sont plus lourds, plus fournis, les deux femmes sont magnifiques, les sculpteurs on su marquer leurs âges respectifs...

Sur les portails de la façade, j'ai cherché la reine de Sabbat, impossible à trouver, il lui manquait la tête, plus de membres, qu'un corps enfoui sous les délabrements de pierre... Il faudra revenir dans quelques années pour la reconnaître, sous les couteaux des tailleurs de pierre.


Abraham et son fils


Le fils avec son visage tendu

Tout à droite du portail principal, Abraham et son fils pieds et mains liés à côté des prophètes, ces autres grandes figures de l'histoire Sainte, dépouillés à l'extrême, les visages tendus, personne ne peut rester indifférent à tant de virtuosité poignante.

Beaucoup plus haut, à 50 mètres, David et Goliath (5mètres de hauteur) que j'ai devinés... Des formes géantes qui paraissaient si petites...


Un ange


Un ange


Des anges

J'ai parcouru la cathédrale de tous les côtés, j'ai cherché les anges, ils étaient partout, dans les fleurs de pierre,  j'entendais leurs bruits d'ailes...

La cathédrale de Reims est la reine des anges, on peut même approcher de plus près pour voir cette inoubliable statuaire dans le Musée du Palais du Tau (résidence archiépiscopale et royale), il rassemble les plus belles oeuvres, déposées après les ravages de l'incendie de 1914. Beaucoup de copies ornent la cathédrale, et c'est un choc incroyable que d'admirer les originaux dans le palais, les statues sont des géants... D'une exceptionnelle beauté.


Statuaire de l'ombre à l'intérieur

Longtemps après la visite, j'ai gardé dans la tête, dans les yeux, dans le coeur, l'énorme chef-d'oeuvre qu'est cette cathédrale, je ne vous ai même pas parlé de l'intérieur, car la cathédrale de Reims c'est d'abord sa statuaire extérieure, mais celle de l'intérieur, toujours dans l'ombre, doit se regarder avec patience (aidé des schémas mis à disposition pour la visite), elle est extraordinaire !!

Avec ses centaines d'anges la cathédrale est donc prête à s'envoler... Dépêchez vous...


Un ange

vendredi 21 octobre 2011

Apollonide, souvenirs de la maison close.... De Bertrand Bonello.








Film étonnant, détonnant, magnifique, libre, ancré dans l’histoire du cinéma français (Les Inrocks) donc, à ne pas manquer, à voir d'urgence, voilà presque trois mois que je ne suis allée au cinéma...Vous comprendrez pourquoi j'ai couru vers le premier UGC venu.


Il y avait bien un petit contrepoint négatif dans Télérama, mais bon, pas assez solide pour me faire changer d'avis... Du beau, du grand, du sublime, dépêchons-nous.


Velours, rubans, miroirs, lumières tamisées, champagne, une douzaine de très belles femmes dénudées et lascives se prostituent dans une maison close de la fin du XIXe siècle, sous l'oeil actif de la mère maquerelle qui compte les sous, pour élever ses deux enfants.



La beauté ici sert de prétexte à dévoiler, en toute légitimité, le corps des femmes, offert à toutes les violences : des hommes, de la maladie, de la misère... Des vies déchues. les dernières images du film ramènent le spectateur sur les trottoirs du XXIe siècle. 


Nous sommes bien loin du film de Max Ophuls "Le plaisir" qui, avec une beauté foudroyante, ne dévoilait rien du tout. En sortant du film, on retenait la chanson : Combien je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite... Les acteurs magnifiques (comme dans le film de Bonello),Ophuls avait recopié Maupassant mot à mot avec talent, conçu des images exceptionnelles, un film bon enfant, ambiance bourgeoisie feutrée bien sous tous rapports, avec des dames très chics qui faisaient un tour à la campagne, en mêlant dentelle et beaux paysages pour une première communion solennelle... Des images sublimes sur papier glacé qui ne disaient rien de la cruauté, de l'abattage, de la syphilis des prisons/maisons de "plaisirs".


«L'Apollonide» de Bertrand Bonello

Les images noires et blanches d'Ophuls nous permettaient de passer directement de l'appartement bourgeois au salon de la maison close, sans nous en apercevoir, tout était calme, luxe et volupté, aucune question à se poser.


Les images de Bonello, belles, translucides, viscontiennes, lumières à la Rembrandt, nous révèlent tout : les beautés et les barbaries.


Pourtant, j'ai lutté en permanence entre une envie de partir et une envie de rester, comme je l'avais fait pour le film La Vénus noire (A. Kechiche), pestant contre un voyeurisme exaspérant, dans le film de Bonello j'avais bien l'impression que toutes ces belles images n'étaient pas celles de la compassion, de la dénonciation, mais bien celles de la complaisance.


Tout est prétexte à dévoiler, encore une fois sous le sceau de l'art, les rendez-vous clandestins, les scènes d'amours "débauchées", les parties de jambes en l'air, mettant à nue les femmes... Encore les femmes, et toujours les femmes, dans toutes les positions, l'amour et la violence.


En sortant, l'air mi-figue mi-raison, j'entendais deux jeunes gens qui rouspétaient : c'est quoi ce film voyeur, encore une fois on voit des femmes nues tout le temps, si on mettait des hommes à la place, que dirait-on du film ?


Je les trouvais toniques, justes et en colère...La relève est on ne peut mieux assurée, le cinéma a de beaux jours devant lui, les critiques adolescentes fusent avec entrain.


Si vous avez vu, ou envie de voir le film, pouvez-vous me mettre un mot pour ne pas me laisser seule avec mes impressions... Merci d'avance.


mardi 18 octobre 2011

Conciliabules... Bulles... Bulles de trottoir....



Tout est vrai... Pas de fiction, pas d'invention que des maux de tous les jours, d'aujourd'hui !

De loin, je l'ai aperçu penché sur sa canne, le cheveux ras, la silhouette amincie, avançant avec précaution, je presse le pas pour m'assurer que c'était bien lui, mais que lui est-il arrivé ? Il a été très malade, a-t-il subi une chimio ? Je crois même que ses cheveux ont blanchi ? Ben cher monsieur, que vous est-il arrivé ? Nous étions au milieu de la chaussée, ma phrase était suspendue à son regard, venez donc là, sur le trottoir, qu'on parle un peu, il avait perdu énormément de poids, son visage était gris, mais ses paroles encore  fortes, j'ai failli mourir, quoi ? Vous avez failli mourir ? Comment, comment, racontez-moi un peu, mais vous allez bien maintenant, rassurez-moi  ?

Mon voisin a toujours eu un timbre de voix généreux, quand il parle tout le monde en profite, on a toujours l'impression qu'il est en colère, d'ailleurs il l'est, c'est vrai, chaque fois que je le rencontre, son ire est permanente, tout y passe : le temps, l'ascenseur qui ne va pas assez vite, la gardienne qui n'est pas là quand il y est, la Mairie qui ne fait rien, l'Assemblée Nationale, la police, le Président de la République, rien n'est plus comme avant... Mon voisin est un bilieux, mais sympa, gentil, il suffit d'attendre un peu que ça lui passe...


Ce matin, il me raconte comment il a failli mourir dans un hôpital de la région parisienne... J'y étais allé pour montrer mes jambes, avec des ulcères qui ne guérissaient pas, voyez, j'ai encore des bandages aux deux pieds, mais ça va mieux, j'y vais donc, ils me gardent, figurez-vous que je me suis retrouvé sous une cloche aseptisée, un truc de fou, les médecins ne comprenaient pas, je m'en allais, ils avaient prévenu ma femme, on va le perdre, imaginez le truc, j'allais trépasser pour mes ulcères, pas possible, mais que s'est-il passé ? J'ai attrapé un microbe, un super microbe, un peu plus j'étais mort, j'ai été en réanimation plusieurs jours, j'ai failli passer l'arme à gauche, ah ! Croyez moi j'suis pas près de l'oublier. Le médecin m'a dit, vous avez attrapé un microbe, imaginez, j'suis rentré entier, j'allais partir les deux pieds devant, incroyable, jamais plus je n'irai à l'hôpital, jamais plus, vous rentrez en bonne santé, vous sortez mort...



Et maintenant comment allez-vous, alors ? Pas mal finalement, mes deux pieds sont en train de guérir, mes jambes aussi, je vais tous les jours aux soins, bon, alors je suis soulagée de vous voir comment ça, tout vaillant, à bientôt, prenez soin de vous... L'homme était souriant, bringuebalant, il s'est assis sur le banc de l'arrêt de l'autobus, la journée avait bien démarré...

La chaussé a deux trottoirs, et de l'autre côté, je vois deux dames, des voisines de mon immeuble que j'aime beaucoup, elles remontent ensemble vers la maison : mon Alice, 97 ans, pimpante, frisée, yeux bleus et une autre dame, moins âgée, adorable, que je n'appelle pas par sur prénom, par habitude, mais quand nous nous rencontrons nous nous embrassons avec beaucoup d'affection, elle sent toujours Shalimar, ce merveilleux parfum de Guerlain...

Souvent, quand je descends de l'ascenseur, c'est son sillage que je sens, et je sais qu'elle trottine donc, pour faire ses courses, tout va bien.

Je traverse la rue bien sûr, pour leur faire la bise, mais c'est qu'elles rouspètent aussi : le local poubelles est plein, ça déborde, on ne peut plus passer, notre gardienne est accidentée, paraît qu'elle s'est cassé le genou en tombant dans les escaliers... Nous en avons plusieurs versions, cassé le genou chez elle, sur les marches de l'entrée, elle est à l'hôpital, en maison de repos, en convalescence... Ce que nous savons, c'est qu'elle n'est pas là pour quelques temps... On ne nous dit rien, on ne sait rien, zut et zut.

La révolte gronde, paisiblement, il fait beau, le soleil d'octobre prolonge celui de septembre, mes voisins ont beaucoup à dire mais toujours, ça se termine en sourires, plus de temps à perdre à regimber... À bientôt, bonne journée et chacun s'en va de son côté...

vendredi 14 octobre 2011

Les vagues, de Virginia Woolf au théâtre de la Colline




La représentation avait lieu dans la petite salle, au premier étage du théâtre, le placement était libre et je me trouvais au 2e rang, presque l’idéal, car je préfère le 1er rang !

Voilà très longtemps que j’avais lu, et totalement oublié, ce roman de Virginia Woolf, mais sa petite musique est inscrite en moi depuis des lustres, bizarrement j’ai adoré ses mémoires sa correspondance, beaucoup plus que ses romans…

Les Vagues, c’est l’histoire de six personnages, trois hommes et trois femmes, qui se quittent à la sortie du collège et se retrouvent à différentes étapes de leur vie. Leurs voix s’entrecroisent, se mélangent, chacun décrit les impressions, les angoisses, les espoirs, les espérances, la solitude, et constitue des bribes de parcours de vie. Au début, pas vraiment d’histoire linéaire, tout flotte dans l’air, les jeunes comédiens tentent d’installer sous nos yeux le petit ronron de leurs vies. Un septième personnage, Perceval, n’est identifié à personne, mais relie chacun des personnage.

Les personnages : Bernard, Louis, Neville, Jinny, Susan et Rhoda, par le biais de monologues intérieurs, vont petit à petit prendre de l’épaisseur, ils vont naître de leurs mots.



Mais voilà, la construction dure très longtemps, les fondations sont profondes,une heure est passée,  mon voisin de gauche s’endort très vite, plus loin, la dame pose doucement sa tête sur l’épaule de son compagnon, à ma droite, un monsieur qui respire comme Dark Vador regarde de temps à autre sa montre… Moi je tente de comprendre de ce qui se passe sur scène, il y a bien les six jeunes acteurs, mais je n’arrive pas à être captivée par ce qu’ils disent, en fait, je ne comprends rien, ni à la structure, ni à l’émotion, ni aux mots… Attendons, ça va venir.

Quatre personnes quittent le 3e rang, puis ce sont les côtés qui se dégarnissent… Le monsieur qui dormait à côté de moi est parti, celui qui regardait sa montre est resté…


Nos personnages grandissent, ils cèdent la place à leurs aînés (Six autres acteurs, plus âgés)  ils ont vieilli, les trois jeunes femmes ont pris de la bouteille, les trois hommes ont les cheveux gris… La pièce devient passionnante, les personnages s’incarnent, respirent, parlent, racontent les désillusions, les chagrins, les morts, la vie pas à pas qui finit par ressembler à celle de tout le monde, pourtant… Que d’espoirs au début du parcours…

La très belle musique de Virginia Woolf, envoûtante, fait son office, j’y suis, je suis restée jusqu’au bout, trois heures de chuchotements, de vagues qui échouent sur le sable de nos vies, pourquoi n’en savons-nous pas plus à la fin qu’au commencement ? Elle nous parle de nos échecs, de nos rêves, le temps passe si vite, il aurait fallu ne pas se tromper, cependant, impossible de faire marche arrière, de faire autrement.

Les six jeunes comédiens n’ont pas fait le poids, le tintamarre de leurs mots m’a intriguée, un peu endormie, je dois l’avouer. J’ai commencé vraiment à être dedans, comme le reste de la salle dès qu’ils ont pris de la maturité, du poids, les comédiens plus âgés avaient plus de présence, ils se sont imposés d’emblée, avec des mots peut-être plus proches de moi, je ne sais pas, mais l’enchantement a eu lieu en toute simplicité, avec une mise en scène réduite aux acquêts, costumes de ville, vidéo très discrète, six chaises en fer, une table et des bougies, la scène est divisée en profondeur par de grands panneaux blancs opaques…

A surfer sur les phrases de Virginia Woolf, forcément, il faut avoir le pied marin, ses vagues à l’âme vous atteignent en plein cœur. 




jeudi 13 octobre 2011

Venise 2011... La Biennale au papillon irakien, Ali Assaf




Le pavillon irakien (proposé par la Fondation Gervasuti, sur la Fondamenta S. Ana), figurait dans les évènements Off de la Biennale, six artistes irakiens interprétaient le thème de l'eau : Acqua Ferita (L'eau blessée), peinture, performance, vidéo, photographie, installation, chaque oeuvre évoquait le sort fait à l'eau dans le monde : pollution, guerres, changement climatique, sécheresse, spéculation...

Le pavillon se trouvait tout au bout de l'avenue Garibaldi, dans une maison vide, investie par les artistes pour la circonstance. Six artistes irakiens de grand talent nous proposaient des images choc, magnifiques, la charge émotionnelle était très forte.

Une de ces propositions m'a particulièrement touchée, j'ai pris des photos en respectant le mouvement de la vidéo autant que faire se peut, mais ça donne une idée de la beauté de l'oeuvre et de sa force. L'artiste s'appelle Ali Assaf... Voyez... L'oeuvre (vidéo) s'intitule Narcisse 











Le commencement...