mardi 31 janvier 2012

Ma première fois... Avec Marcel !




"Bonnes vacances !..." Et elle me tendit un livre de poche, tout lu, relu, tout usé, tout feuilleté... Ça devrait te plaire...

Je partais pour l'été, un mois de vacances, au bord de la mer. j'avais depuis longtemps l'âge de raison, mais j'étais encore dans mes jeunes saisons.

Je me souviens de son oeil clair et brillant, elle fumait beaucoup et ses nuits sans sommeil  les rendaient encore plus ardents... D'accord, je vais  lire ça et je te raconte en rentrant...

Ces images du livre, au bout du bras tendu, du sourire et des yeux ardents, me restent pour toujours comme celles du début d'une vie nouvelle... Tu verras, ça devrait beaucoup te plaire... Un sourire complice accompagnait la recommandation, nous avions eu tant de conversations entre nous, elle connaissait un peu mes pensées de jeune femme, moi j'admirais son trajet d'artiste peintre, son énergie, son courage, nous avions une grande différence d'âge et tout ce qu'elle me racontait d'elle me passionnait, tous ses projets grandissaient en moi à chacune de ses paroles, elle fut cette personne qui me transmit une des choses essentielles à ma vie... Je ne le savais pas alors, dans ce temps-là il y avait juste la confiance et l'amitié qui passaient entre nous.

Depuis longtemps déjà nous étions les meilleures amies du monde, nous ne comptions plus les heures de bavardage, les heures de souvenirs murmurés pendant de longues soirées. Quand j'y pense aujourd'hui, je la revois toute entière dans ses volutes de cigarettes, les mots précieux à la bouche, moi je commençais tout juste à fumer, c'était mon amie, elle avait vingt ans de plus que moi... Un accent étranger inimitable, familier, elle était grecque, expatriée volontaire d'un pays qu'elle ne supportait plus, c'était la guerre entre elle et lui.

Elle était mon exilée préférée, parlait français comme un poète, avec des mots choisis et colorés comme sa palette, j'étais son auditrice infatigable, elle m'a donné à lire des histoires fabuleuses, jamais je ne l'ai oubliée.

Nous cheminions dans ses histoires, dans ses pas, de soir en soir,  moi je grandissais aussi, j'étais une débutante de la vie, elle me racontait... À un moment de la soirée, il y avait l'instant du café, qui laissait au fond de la tasse un marc doux comme du sable, où on pouvait lire les pensées... Cette odeur de velours noir qui vous enveloppe des pieds à la tête prenait le coeur aussi, j'adorais le rituel du dosage de la poudre dans la petite casserole à long manche, du sucre, une belle flamme, un glouglou, il fallait laisser reposer... C'était tout !

Cet été-là, juste avant de partir, j'étais venue la voir pour le baiser estival... Tiens, prends-le, ça va te plaire...


Arrivée sur le lieu de mes vacances, j'ai défait mes valises et j'ai ouvert le livre : Longtemps je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire : "Je m'endors." Vous imaginez la poésie, ceux qui ont lu Marcel Proust et qui l'on aimé le savent, on en rêve tous. Souvent j'ai rencontré des lecteurs indifférents, qui détestaient même... Comment est-ce possible ? Ça l'était !

Le livre tendu au bout du bras : Du côté de chez Swann était le premier volume de l'oeuvre principale de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, qui en comporte sept. Voilà, j'étais partie, c'était ma première fois avec cet auteur. À l'époque je lisais vite, trop vite, j'avais bien senti qu'il me faudrait y revenir, je ne comprenais même pas tout, j'étais dans le coeur du temps passé et repassé au cours des mots, dans un temps inexorablement vivant et magnifiquement écrit, Marcel Proust à la pointe de son stylo donnait du monde, de son monde intérieur, des images inoubliables, aussi précises que celles perçues dans le miroir de son esprit, fidèles à ses vibrations et aux battements de son coeur. Il nous embarquait dans la mémoire de ses sentiments, l'amour, la jalousie, la terreur, la passion, la fascination... Et l'art, qu'il aimait par dessus tout, un peu d'art en plus, disait la grand-mère du Narrateur quand elle parlait des cartes postales qu'elle lui envoyait de ses voyages... Les cartes postales sont restées pour moi un peu d'art en plus et plus d'une fois, en faisant valser le tourniquet pour en choisir une, je pense à Marcel et sa grand-mère...

J'étais jeune alors, encore trop jeune, mais j'avais bien reconnu que j'étais tombée sur une oeuvre majeure qui allait me coller à la peau, qui m'allait bien, qui me convenait. À cette époque-là, j'essayais de me hisser à son niveau, car cette découverte, je l'avais faite seule au bout du bras tendu de mon amie... Jamais je n'avais entendu parler de Marcel Proust, ni dans le milieu où je vivais, ni dans ma scolarité, pas perchée bien haute.

Je me disais même : il est formidable cet auteur, il est énorme, je ne savais même pas qu'il était connu à ce point, que le monde entier parlait de lui dans toutes les langues, connu aussi dans les Universités, on en parlait dans les milieux littéraires, il y avait des tas d'associations, les amis de Marcel Proust, ma voisine peut-être ?... Partout, partout, non, moi je ne savais rien sur le moment, tout le temps qu'a duré la lecture, je suis restée seule avec lui. Un jour, mon isolement prit fin, j'entendis à la radio une émission sur Marcel Proust et toute ma naïveté s'écroula d'un coup, ah bon ! Marcel Proust n'est pas seulement à moi ! Je n'ai rien découvert du tout, je suis même à la traîne, terriblement derrière, j'ai fait semblant de rien, j'ai lu tout, tout ce qu'il avait écrit, je n'ai raconté à personne que c'était seulement le bras tendu de mon amie qui m'avait fait un cadeau connu de l'Univers.

Je ramais comme une amoureuse timide : comme c'est beau, comme fait-il, comment ça marche, comment peut-on écrire à ce point les tous petits regards portés sur presque tout, avec autant de beauté, autant de sensibilité et autant de talent ?... Pour chaque page achevée, restait un petit regret : déjà !

Plus tard, j'ai toujours gardé Marcel sous le bras, quelques fois même je posais la question : tu as lu La Recherche ? Non ? Quelle chance, tu vas pouvoir t'y mettre, c'est le bonheur assuré...

Beaucoup plus tard, j'ai relu les sept volumes, et j'ai découvert tout ce qui m'avait échappé, mais il en reste assez pour recommencer... J'ai compris l'expression : avoir un livre de chevet, tu peux l'ouvrir à n'importe quelle page, tu plonges dedans, tu es heureux. J'avais même poussé le vice jusqu'à garder un livre à vue, sur ma table de nuit, j'essuyais la poussière qui le recouvrait quand je ne trouvais pas le temps de le feuilleter, mais pour rien au monde je ne l'aurais déplacé... Je comprenais mieux l'exposition des portraits de familles dans des cadres en bois doré, argenté, en carton bouilli, ou en verroterie... Le souvenir c'est sacré, quand on l'a décidé.

Comme je n'avais pas de propriété, pas de grenier, pas de lac aux oiseaux, pas de chemin à moi, j'allais chez Marcel Proust pour me fabriquer des souvenirs, des châteaux sur l'eau, des soirs sans dormir comme lui...

Quelque fois même, je pense à cette oeuvre et j'ai tout de suite les larmes aux yeux... Tant d'heures passées ensemble, tant d'émotion, tant de pages tournées sans cesse pour découvrir un univers si étranger à ma vie et pourtant si semblable au mien. Car une oeuvre qui entraîne si loin le lecteur dans le dédale des sentiments éprouvés, en lui livrant cette richesse littéraire incroyable, lui donne aussi les moyens d'approfondir sa propre vie, sur d'autres modes, dans d'autres lieux, de vivre l'instant présent, le souvenir de tous les instants avec intensité et même créativité.

Pour démentir ce que je viens d'écrire, j'ai cessé pendant de longues année de lire le moindre roman, rien, personne, aucun auteur à part lui ne me donnait envie de lire, j'avais puisé dans la splendeur de Marcel Proust l'impossibilité d'aller voir ailleurs, d'aller plus loin...

Un jour pourtant,  j'ai pu ouvrir un autre livre, et puis un autre, et puis un autre, et...

jeudi 26 janvier 2012

Il giorno delle sorelle... Janvier 2012


Belleville pendant le Nouvel An Chinois

Je vous l'avais bien dit, nous avons passé le tour du mois de décembre, trop chargé, trop illuminé, trop cadeaux et bûche de Noël, notre jour delle sorelle est passé à l'as pour raison de fin d'année...

Nous avons mangé de bon appétit dans notre petit restaurant chinois-vietnamien, nous avons goûté les plaisirs de leur table avec notre plat préféré, le bobun, fin, délicat, plein de saveurs, chaud/froid bien équilibré, salade fraîche pour la déco, un délice, je vous le dis, un délice. Les bavardages allaient bon train, au rythme des baguette, comme des roulements de tambour, le vermicelle, le poulet (c'était un bobun au poulet, une spécialité parisienne sans doute) et les nems entraient en ordre dans nos palais émerveillés... Les conversations sont plus longues avec ces longs doigts de fée, les mots, les idées, les nouvelles, les bonnes et les mauvaises, défilaient bien pesées, entre chaque bouchée... Quand on avance en âge, les nouvelles sont énormes puisqu'il faut non seulement parler des enfants mais aussi des enfants de nos enfants... Ça fait un potentiel de plusieurs repas d'affilé, bon, on se voit le mois prochain sans faute, on se téléphone entre temps... Jamais on ne peut se mettre à jour, car le monde entier attend à la porte qu'on le refasse entièrement à notre goût, à nos couleurs.

Quand nous nous sommes assises, nous étions les premières clientes, très sérieuses, très déterminées, faisant semblant d'inspecter la carte, en sachant pertinemment que nous allions prendre la même chose que le mois d'avant, nous n'arrivons pas à renouveler nos désirs, d'un mois sur l'autre nous retombons dans nos travers, c'est juré, la prochaine fois on change, l'immobilisme ça suffit, il faut varier un peu, non de non, d'accord... Et puis au bout du temps qu'il nous a fallu pour nous mettre à jour de tout, la salle était bondée, on attendait gentiment notre départ pour prendre nos places, si chèrement attendues.


Nous nous sommes retrouvées chacune sous un parapluie, en train de faire notre programme quasi sous une porte cochère.

À droite ou à gauche, musée ou ciné, plus question d'aller photographier les oiseaux au cimetière du Père Lachaise, ou de déambuler rue Oberkampf comme nous avions prévu de le faire... Fallait faire vite, la pluie tapait tant et plus sur nos parapluies, nos chaussures qui clapotaient donnaient le signal du départ... La prochaine fois, je mets des bottes !

Sûrement pas le cinéma, et comment ferions-nous pour parler, l'une et l'autre assise côte à côte regardant l'écran ? Pas question de jouer à ce petit jeu-là, non, si nous allions au musée Carnavalet ? Mais oui, c'est une bonne idée, le quartier est sympa, nous glisserons de siècle en siècle, révision générale, ébahies, ravie, bavardes, mais au sec ! C'est décidé, c'est là qu'on va, mais avant, le petit café à notre quartier général, notre café culturel, le roi de la couleur, l'as du quartier ! Il doit en défiler des utopies par ici, demain on rase gratis, c'est promis, liberté, égalité, fraternité, on va tricoter des avenirs avec ces trois couleurs, moi je commence au point mousse, toi tu fais du point de jersey, retrouvons-nous au bout du rouleau... Sans perdre une maille !


Notre estaminet boîte de peinture

Le programme de notre café bariolé était entièrement consacré au Nouvel An Chinois, soirées poésies, slam, chansons, toutes à base de chinoiseries, un cocktail bien alléchant... Buvons, chantons en chinois, rions jaune, mélangeons les cultures, justement notre estaminet s'appelle culture rapide, il faut faire vite pour être dans le coup, faut pas traîner en route, sinon on sera pris de vitesse par des cultures plus ordinaires... Nous, on veut de l’extraordinaire...

Vous voyez, l'après midi était bien parti, même sous la pluie.


Madame de Sévigné, notre grand-mère

Le Musée Carnavalet, celui de notre enfance, était tout le temps vide, on l'aimait pour ça, il était là pour nous toutes seules, Madame de Sévigné était notre grand-mère, on était dans nos murs, le jardinier pouvait planter à la volée, il n'y avait que l'eau de pluie pour faire tout profiter en douce, à la va comme je te pousse... Nous adorions ce musée...

Ce musée est composé de deux hôtels particuliers : l'hôtel Carnavalet élevé à partir du 16e siècle, de grands noms y sont attachés, Jean Gougon pour les sculptures décoratives et François  Mansart pour des transformations de cet hôtel au 17e siècle ; et l'hôtel le Peletier de Saint-Fargeau du 17e siècle, qui fut rattaché au musée Carnavalet en 1989 par la ville de Paris. Ce musée rend compte de histoire de Paris des 16e au 20e siècles. Ses collections sont riches et passionnantes.

Nous sommes allées tout de suite du côté des collections permanentes, mobilier, tapis, glaces, lustres, objets,  boiseries, peinture... Les collections municipales de la ville de Paris y sont présentées depuis le 19e siècle. Madame de Sévigné vécut 20 ans à l'hôtel Carnavalet.

 Il y avait peu de monde, on retrouvait un peu de notre enfance...


La chambre de Marcel Proust

Je lui ai dit : viens voir la chambre de Marcel Proust, regarde, sur ce lit il a écrit la plus grosse partie de son oeuvre, quelques petits cahiers avec le porte plume posé dessus, ce pur décor me touche... J'ai dit déjà qu'après avoir lu toute son oeuvre, j'ai cessé de lire pendant des années, rien ne pouvait être mieux dit... Et puis après j'ai découvert Albert Cohen, Céline, et je suis repartie à l'assaut de tous les autres... Je garde de Marcel Proust le goût pour les aubépines du début de l'été, après lui j'ai tout regardé plus lentement, plus précieusement, et j'ai pensé autrement... Je n'ai jamais rien lu de plus beau.

Pour nous asseoir un peu, on a trouvé un petit salon de repos réservé aux visiteurs, très loin, au fond d'un petit couloir, dans un petit coin,  inconfortable au possible, mais on pouvait allonger les jambes et regarder mon portable...


Le copiste le 12 janvier 2012


Le copiste le 24 janvier 2012

Il faudra revenir, on est passées à toute allure devant le copiste qui doit venir tous les jours, je l'ai déjà vu ici il y a une petite dizaine de jours, il tourne le dos au public, peint dans la lumière, s'applique, personne ne le dérange, il est tout seul, j'ai fait doucement pour prendre la photo.

Nous avions oublié la pluie, la nuit était descendue, nous avons pris un thé, au chaud, derrière les verrières d'un joli café... Les derniers mots de la journée... Et puis nous nous sommes quittées, nous n'avions pas vu le temps passer, un jour entre parenthèses, comme des ailes de papillon...

Ma soeur, je te dédie ce post avec toute mon affection...

lundi 23 janvier 2012

Les maux des jours, les mots dits...


Depuis des semaines, je garde en moi les rencontres, les mots saisis ça et là sur mes chemins, les vilains mots, ceux des plaintes, des tristesses,  les mots de tous ces jours qui ne vont pas...

L'autre jour, en passant devant l'arrêt du bus, juste devant le centre de santé, je vois un homme, noir, avec un chapeau, qui se tenait appuyé à l'abribus, droit comme un "i", majestueux, mince comme un fil de soie, une cigarette à la main, songeur, un peu perdu. Quand je suis passée devant lui, il a dit à voix douce : j'ai tellement de choses terribles dans ma tête qu'il faut que je fume... Une longue volute de fumée sortait de sa bouche... Il avait l'air d'être dans un théâtre, sa belle silhouette était immobile, il jouait une pièce, un morceau de sa vie, là, sur le trottoir, il souffrait, et paisiblement il disait deux ou trois mots de plainte, de douleur... J'ai continué mon chemin, lui le sien, sans bouger.


J'ai gardé en tête sa tristesse plusieurs jours après, encore aujourd'hui j'y pense, il avait l'air de jouer du Shakespeare : être ou ne pas être, il lui manquait les planches de salut...

Ma chère voisine de 97 ans est venue frapper à ma porte pour me souhaiter ses voeux, alors que c'est le contraire qui aurait dû se passer, c'est moi qui n'aurait pas dû tarder tant pour aller l'embrasser... Elle tient bon, je suis contente...

Chaque fois que je la rencontre, je lui demande : comment ça va, Alice ? Et elle me répond toujours, en penchant légèrement de côté sa tête blonde-blanche avec le sourire et l'éclat de ses beaux yeux bleus : ça va Danielle, autant que faire se peut... Elle fait ce qu'elle peut pour aller bien Alice, elle me l'a dit déjà, depuis longtemps elle attend que le temps passe pour elle. Je l'aime, ma voisine...


La semaine dernière, comme je sortais d'un cinéma un peu tard le soir, je fus surprise de voir du monde sur le quai du métro, dans des sacs de couchage, pas à l'abri du tout du monde, à l'abri de rien, sous le regard de tous, je trouvais que ça faisait beaucoup, deux corps sur un quai, deux corps sur l'autre. La semaine dernière, tous les voyageurs ont dû descendre du wagon à cause de l'odeur pestilentielle qui y régnait... Un homme assis tranquillement sur un siège, sans rien, pas un sac, pas une couverture, il sentait atrocement mauvais, il devait être dans cet état depuis très longtemps, sans soin, sans hygiène... C'est seulement l'argent qui n'a pas d'odeur...

Moi, j'ai continué mon petit bonhomme de chemin... En changeant de wagon comme tout le monde.

Je l'ai gardé en tête... Son visage, son allure, son absence, il ne semblait pas voir les voyageurs qui descendaient bien plus tôt que prévu...


Bonne année, tous mes voeux, comment vas-tu ? Beaucoup mieux, on débutait une conversation d'avenir, oui, je vais beaucoup mieux depuis que j'ai décidé de supprimer les deux somnifères que je prenais depuis des années... C'est vrai, tu a fait ça d'autorité, bravo ! Oui, depuis je vais beaucoup mieux, pas possible ? Mais comment as-tu décidé ça ? Comme ça, j'allais mal et puis comme mon médecin ne changeait rien, rien de rien sur mon ordonnance, alors j'ai décidé de prendre les choses en mains, de faire quelque chose pour moi, voilà, et puis quand je lui ai dit, docteur, j'ai supprimé mes somnifères ! Alors elle m'a dit : vous avez vraiment bien fait...


Mais c'est absurde ça, tu lui as demandé combien elle te devait, te voilà docteur maintenant, nous avons ri de ces jeux de rôles inversés... C'est une amie très chère qui me faisait la joie d'aller mieux, d'aucuns auraient dit : grâce à Dieu, elle va mieux, moi je dis non, c'est grâce à elle...

Maintenant je ne dors pas mieux, mais je m'en fiche, je dors le jour, comme je veux, une petit sieste et hop ! Je ne compte plus les heures de la nuit, je vais beaucoup mieux.

Elle aussi a de jolis yeux bleus, une élégance légendaire, elle marie les couleurs comme un peintre ou comme un grand couturier, avec tout, elle fait de l'harmonieux... Elle fait aussi des gâteaux délicieux... Mais tu sais, mon cardiologue est un homme dur, jamais le mot qu'il faut pour te remonter le moral, tout est coupant dans ses paroles, t'es une malade, pas autre chose, t'as juste un coeur, des artères peut-être, pas de tête, pas de jambes, rien qu'un coeur... Il a pas de coeur ! Mais pourquoi tu ne changes pas d'adresse ? Mon médecin me l'a déconseillé, il n'est pas bon pour les paroles et les remontants, mais c'est un bon cardiologue, ne changez rien maintenant, alors je reste, à mon corps défendant.

Mon amie parle d'or, avec des mots si bien choisis, tu te demandes toujours où elle les prend, ils sont toujours dans un ordre impeccable, si bien adaptés, si justes, le bel ordre plein d'harmonie comme les couleurs... Ma belle horlogère, tic, tac, tic...

Je suis contente aussi pour elle, quelle belle année ça va être, je touche du bois.


Entre deux stations, c'est fou ce que les mots sont précis, le bus se balance et nous avec... : "Chez nous, on n'a pas la télé"... Ah bon ! On ne s'était pas vues depuis longtemps, mais on était reparti comme en 14, tu ne regardes pas les infos alors ? Non, mais tu vas lire la presse sur Internet ? Non, j'ai pas envie,... J'avais trouvé mon alter ego, moi aussi j'évite les infos de peur de me trouer la tête, de me faire happer par la grisaille, je ne regarde plus les infos, ils ont toujours tout faux... Je ne garde pas la tête dans le sable, je vais sur Internet, mais comme il n'y a pas le son, ça va mieux... Je garde les idées claires, je me dis, ça ira mieux demain...

Demain c'est bientôt ?

Les jours se déroulent avec les maux de tous les jours, les joies aussi, le ciel bleu entre deux nuages, le printemps sera là bientôt, encore un peu de patience, restons encore un peu les pieds dans l'eau... Le coeur sur la main...


jeudi 19 janvier 2012

Chiharu Shiota... Une artiste à découvrir...


L'oeuvre proposée à Venise en 2012

Lors de mon séjour à Venise en juillet dernier, j'ai eu la grande joie de rencontrer une oeuvre de Chiharu Shiota au détour du chemin. J'avais eu l'occasion de la découvrir en mars 2011 à la Maison Rouge (lieu d'exposition d'oeuvres contemporaines près de la Bastille à Paris).

Au fin fond de la via Garibaldi, dans un quartier de Venise encore populaire, mais dont beaucoup de maisons sont inhabitées, d'anciennes boutiques avec de petits appartements ouvriers abritaient des oeuvres d'artistes qui exposaient dans le cadre de la Biennale. Dans une de ces boutiques, donnant sur le petit rio S. Anna,  Chiharu Shiota avait tissé tout l'espace, englobant matériel et mobilier : voyez la photo, non, vous n'avez pas de mouches devant les yeux, non, il n'y a pas de défaut sur la photo, elle avait largement recouvert tout ce qui s'y trouvait, sa toile de laine ajourée enveloppait les objets du sol au plafond, on pouvait à peine distinguer le monde étrange dans lequel nous nous trouvions... Il faut un temps d'adaptation, la toile d'araignée, magique, vous fait rentrer dans une autre dimension, très impressionnante. À travers cette dentelle noire, ce cocon très sombre, cette mantille noire inextricable, posée comme par enchantement sur tout le contenu de la pièce, quelques grosses ampoules électriques, disséminées, clignotaient, et vous invitaient à pénétrer en profondeur son univers, c'était d'une beauté à couper le souffle...

C'est une oeuvre qui m'intrigue, par quel bout la prendre, la comprendre ? Par quel bout a-t-elle pris son travail, fil par fil pour produire cet effet vertigineux ? Car bien sûr, Chiharu Sciota n'a plus jamais quitté mon esprit, et je l'ai retrouvée à Venise comme une connaissance, une amie, une belle réjouissance (réjoui-sens).


 C'est avec cette oeuvre  que je l'ai découverte à la Maison Rouge à Paris

Elles crée ses oeuvres-performances, installations spectaculaires,  avec quelques assistantes, directement in situ, ainsi chaque oeuvre prend la dimension du lieu, il faut forcément la suivre, fil après fil, allee là où elle va et toujours se laisser surprendre... Vous avez tout de suite son fil à la patte... Il ne faut rien manquer de ses tissages, se précipiter chaque fois sur les galeries ou les lieux qui l'accueillent, et ils sont maintenant de plus en plus nombreux à la solliciter...  Cette artiste est japonaise, elle vit et travaille depuis 1996 à Berlin, elle a 40 ans. 



Je suis allée sur Youtube prélever une vidéo pour vous : en direct avec l'artiste.


Elle dit mieux que personne ce qu'elle fait, ce qu'elle pense, ce qu'elle crée.

Chiaru Shiota investira  prochainement les 1700m² du 2e étage des entrepôts de la Sucrière, bâtiment  industriel habité par la Biennale de Lyon depuis 2003. Pour ancrer ce nouveau lieu comme" figure de proue du nouveau quartier Lyon confluence", la direction a fait appel à cette artiste. Du 4 mai au 31 juillet 2012, Shiota présentera donc une oeuvre monumentale : Labyrinth of Memory, qui devra englober, enchevêtrer, ensevelir, en-toiler, en-filer, transmuter 16 robes de mariée dont les pans deviendront pétales. Elle tissera une toile d'araignée pour nous émerveiller, nous faire rêver, nous émouvoir... Nous interroger.

En attendant, un camion entier chargé de laine noire roule vers sa destination...

Il faudra sans doute que je fasse le voyage... Son oeuvre si attachante tient à un fil...

mardi 17 janvier 2012

Ma rétrospective cinématographique du moment...


Attention, je vais être méchante, je n'ai pas du tout aimé ce film.

Louise vit dans sa voiture depuis quelques mois, elle est partie de chez son mari, elle travaille comme femme de chambre dans un hôtel, elle recherche un appartement, elle attend avec impatience...

Voilà, cette Louise, je n'aimerais pas être son mari, ni ses enfants, ni sa voisine, ni son employeur, ni son chien, ni son amie... J'attendais juste qu'elle trouve son appartement pour que le film se termine, il dure 80 mn, ça passe assez vite. L'actrice est sympathique mais peu crédible, elle joue faux un rôle qui n'est pas fait pour elle.

Aussitôt vu, aussitôt oublié...


Les acacias

Sur l’autoroute qui relie Asunción à Buenos Aires, un camionneur doit emmener une femme qu’il ne connaît pas et son bébé. Ils ont devant eux 1500 kilomètres, et le début d’une belle histoire.

Je n'ai pas du tout marché dans la belle histoire, le film a pourtant eu dès sa sortie 6 prix et 18 nominations dans différents festivals... À n'y rien comprendre.Tout le film se déroule pratiquement dans l’habitacle du camion, des micro-évènements rapprochent les deux personnages, mais je n'ai pas trouvé suffisamment de matière pour me passionner. J'attendais peut-être beaucoup trop de ce film, je ne sais pas, moi qui suis pourtant réceptive aux petits détails, à la lenteur et à la complexité des scénarios, je n'ai pas accroché... J'ai donc fait la route en marche arrière, si je puis dire... 



Lors de mon dernier séjour en juillet à Venise, je suis allée à plusieurs reprises voir des extraits de ce film qui tournaient en boucle dans une église... L'installation était à voir dans le cadre de la Biennale d'art contemporain...

J'ai tout de suite été fascinée par la beauté des images, le film est pratiquement muet, l'auteur, un Polonais, Lech Majewski, peintre lui-même, apporte quelques éléments narratifs imaginaires au tableau de Bruegel, il réalise une oeuvre totalement esthétisante, de grande qualité. J'ai beaucoup aimé et le film m'a paru même extrêmement court, il fait pourtant 1h30. Habituée à le voir en boucle à Venise, j'y serais volontiers retournée... 

Le critique des Cahiers du Cinéma a détesté ce film maniéré et inutile...:-)))


Take Shelter Movie Poster

Alors-là, comment vais-je m'en sortir ? Je n'ai pas adoré le film, loin s'en faut, la critique presse est quasi générale pour le louer : la mise en scène subtile, le jeu des acteurs extraordinaire, surtout Michael Shannon, le sens de la vie et du monde profondément mis en question dans ce film magnifique, les paraboles, la philosophie... Les questionnements multiples sur la démocratie, la société, la famille, le combat intérieur... L'apocalypse est pour bientôt mais personne ne s'en doute.

Et moi, franchement, ça me rase !

Je n'aime pas trop les films catastrophes, d'anticipation, les films de science fiction... Je ne vais pratiquement jamais les voir...

Mais celui-ci m'avait tenté, fortement influencée par toutes les bonnes critiques de sources confirmées, je me suis dit : allons voir ça.

L'intrigue fait monter la pression immédiatement, et deux questions se posent d'emblée : ce bon père de famille est-il victime de désordres mentaux qui lui font pressentir une fin du monde proche ? Le reste de la société vit tranquillement sa vie, hors de ce temps-là. Et moi aussi.

Donc forcément, à un moment, j'ai regardé ma montre...

Le plaisir d'être devant le grand écran, le jeu des acteurs, les belles images de grands paysages, l'intrigue intrigante, m'ont fait patienter jusqu'au dénouement...

Mais aujourd'hui encore je reste totalement perplexe sur mes goûts et mes couleurs en matière de cinéma... Souvent décalés par rapport à la presse... Mais je ne me décourage pas, je vole de mes propres ailes, avec passion.

dimanche 15 janvier 2012

Le Havre... Film de Aki Kaurismaki, une merveille !



Un des plus beaux films à voir en ce moment...

La surprise est totale, car le traitement cinématographique de Kaurismaki est toujours original...

Moi qui ai vu (presque) tous les films de ce cinéaste, avec enthousiasme, je dois dire que là encore, il m'a énormément touchée.

Il n'est pas facile de refaire encore un excellent film avec la misère du monde, il faut avoir un sacré talent pour trouver un langage nouveau, d'autres mots, d'autres images... Aki Kaurismaki (Finlandais) fait oeuvre d'art avec Le Havre.


L'histoire est celle d'un petit garçon africain, fraîchement débarqué clandestinement au Havre, qui veut rejoindre l'Angleterre. La solidarité se construit autour de lui pour le faire passer là-bas...

Ses images sont puissantes, chaque plan est superbe, fouillé : il a choisi un code couleur qui accompagne presque tous les plans : bleu/jaune/rouge, chaque scène reprend ces couleurs avec plus ou moins de présence, un peu comme l'avait fait Jacques Demy avec les Demoiselles de Rochefort (1967). Plans également dépouillés, pas de décors chargés, rien de superflu, le bleu domine. Les atmosphères des cafés et les harmonies chromatiques me font penser irrésistiblement à la peinture de E. Hopper.  Kaurismaki affectionne lui aussi ces lieux de rencontres où la solitude voisine avec la compagnie.

Chaque prise de vue démarre comme une photographie, arrêt sur image quelques secondes, puis tout s'anime... Les plans rapprochés, comme des effets de loupe, font parler les visages avec délicatesse, et nous livrent un sourire, un regard, un geste... Il filme les objets comme des natures mortes, c'est superbe, du grand cinéma. Les acteurs, tout en retenue, théâtralisent les scènes par un langage et des gestes adaptés, phrasé détaché, gestuelle mesurée. Cette distance permet au spectateur de prendre son temps pour regarder, réfléchir, mais aussi prendre du plaisir à suivre cette histoire telle que nous la propose Kaurismaki, pleine d'espoir et de confiance. Malgré la distance, les personnages fonctionnent en vrai, plus vrai que nature, bien loin de la caricature, ils nous emportent avec émotion, leur langage poétique, précis, énigmatique, simple, consolide l'univers minimaliste de l'auteur, l'économie de moyens rivalise avec une grande richesse de vocabulaire cinématographique. Le cinéaste dissocie le temps : les personnages, qui payent avec des euros, évoluent et sont habillés dans un décor des années 1960.

Une fois les codes acceptés, comme au théâtre ou à l'opéra, le film devient une oeuvre d'art qui nous parle d'humanité. C'est beau ! J'ai préféré cent fois la poésie de Kaurismaki, au réalisme de Guediguian dans Les neiges du Kilimandjaro, auquel je n'ai pas cru une seconde, je n'ai pas cru au jeu des acteurs qui se transformaient sous mes yeux en prolétaires du port... Pas une seule seconde je n'ai cru à cette mascarade bien pensante, seul Daroussin, qui joue dans ces deux films, est parfait comme souvent.

Allez, j'y retourne, je vais le voir une deuxième fois, profitons du bouche à oreille qui fonctionne, profitons encore de sa présence sur les écrans... J'espère qu'en province vous avez aussi cette chance.

Je suis contente, je vais au bord du film de Kaurismaki comme on va au bord de l'eau, tout fait mouche, les belles choses vont avec les bonnes choses, un goût de vie réussie, un coup de bonheur d'être ensemble sans désastre, c'est si rare... Trop beau pour être vrai ? Mais non, mais non...

Faites comme moi, payez vous une tranche d'utopie... Ça fait tellement de bien.

vendredi 13 janvier 2012

El Gusto... Après le concert, le film de Safina Bousbia.

RÉSUMÉ

"La bonne humeur - el gusto - caractérise la musique populaire inventée au milieu des années 1920 au cœur de la Casbah d'Alger par le grand musicien de l'époque, El Anka. Elle rythme l'enfance de ses jeunes élèves du Conservatoire, arabes ou juifs. L'amitié et leur amour commun pour cette musique qui "fait oublier la misère, la faim, la soif" les rassemblent pendant des années au sein du même orchestre jusqu'à la guerre et ses bouleversements.
El Gusto, Buena Vista Social Club algérien, raconte avec émotion et... bonne humeur comment la musique a réuni ceux que l'Histoire a séparés il y a 50 ans."
Voilà, j'ai trouvé le bon pitch sur Internet, pas besoin d'en rajouter pour l'histoire.
Le lendemain du concert au grand Rex, je suis donc allée voir le film, je me disais, s'il y a un peu de monde dans la salle, le film va marcher, souvent un film qui marche démarre dès la première semaine... Quand je suis rentrée dans la salle il n'y avait que moi, j'ai fait la grimace, et puis ils sont rentrés un par un, par deux quelques fois, mais il restait du temps avant l'heure du film, 10mn avant le début de la séance ça peu suffire pour remplir les fauteuils, vous l'avez remarquez : quand vous êtes bien installé, à votre rang, que vous avez mis vos petites affaires sur le fauteuil d'à côté, c'est là que la salle fait le plein... Poliment vous devez débarrasser votre veste, votre sac, tant pis, vous aurez un voisin...
Mais là je ne voyais pas les choses comme ça, je l'espérais ce voisin et à ma gauche et à ma droite, je ne sais pas pourquoi, mais j'avais envie qu'il marche ce film, que je n'avais pas encore vu... En somme, j'avais du parti pris. Le concert m'avait galvanisée, j'avais envie que tout le monde le sache que c'était beau, la musique du chaâbi, qu'elle était très émouvante. Et puis l'histoire de ces hommes, ces juifs et ces arabes qui se retrouvent 45 ans après la guerre d'Algérie pour rechanter, rejouer, re-rire ensemble... Boire des coups, plus petits sans doute ? Car ils avaient beaucoup vieilli, ils ont dû diminuer les doses... Et jouer de la musique, gratter les cordes de la mandoline, souffler dans la flûte, accorder le violon, répéter tous ensemble pour le prochain concert à Marseille.
Je m'étais dit, c'est pas possible qu'elle (Safina) rate un film pareil, ça doit être forcément bon, j'en avais vu des passages et j'avais tout de suite pleuré...
Et puis les spectateurs sont arrivés, les rangs se sont remplis, on était tous au complet quand le générique a commencé, ouf !
Pour moi tout a recommencé très vite, l'émotion, les pleurs, l'enchantement, comme je vais beaucoup au cinéma depuis des dizaines d'années, je connais un peu la musique... Les premières images d'un film comptent énormément pour la suite, les premiers plans doivent imposer toute la magie du spectacle, donner le ton, vous installer dedans, captiver, intriguer rapidement, le film doit se mettre en place, surprendre, la rencontre, la vraie, doit être au rendez-vous, pas de temps à perdre...  J'ai bien vu que c'était pas Wim Wenders, mais Wim, il n'y en a qu'un... Mais quand même, cette jeune cinéaste savait y faire aussi, beaux plans serrés sur les visages, sur les petits détails qui se passent entre les gens qui sont contents de se retrouver, les sourires, les bribes de paroles, la musique. Elle savait y faire, et leur faire raconter leur guerre d'Algérie, celle que ces hommes avaient vécue, d'un côté comme de l'autre, les uns contre les autres, forcément leur rencontre ne pouvait pas se faire avant, il a fallu attendre près d'un demi-siècle, et la volonté de cette jeune femme, pour qu'ils se sentent heureux d'être ensemble... J'ai bien compris que tant d'années étaient nécessaires pour reprendre la vie du bon côté, quand la guerre vous a séparés. Du chaâbi j'ai tout appris dans le film, l'historique, les descendants, les acharnés, la nouvelle génération qui s'y mettait, ça été un plaisir de connaître cette histoire-là, comment tout avait commencé... Dans les années 1920. 
Elle m'a fait découvrir la casbah, aujourd'hui ce qu'il en reste : des ruines... Pourtant dans certaines ruines j'ai bien reconnu les azuléjos, bleus de... Lisbonne...
À la fin du film, la salle a applaudi, moi j'ai rangé mes mouchoirs en papier...
Allez-y, vous n'allez pas le regretter, et puis la musique arabe du chaâbi, peut-être que vous n'avez pas idée de ce que c'est, beau ! Peut-être qu'un jour vous les verrez sur scène près de chez vous... Alger, Marseille, Paris, Berlin... Ils jouent...
La répétition

mercredi 11 janvier 2012

El Gusto... J'y étais !


Une partie des musiciens

Si vous aviez entendu ça, si vous aviez vu ça... Quel bonheur !

J'ai mis du temps à me décider, j'y vais ? J'y vais pas ? Allez, je ne pouvais pas rater l'évènement, juste deux soirs, ils jouent à Paris, allez, prends ton billet, voilà c'est fait, sur Internet, j'avais eu de l'hésitation car c'était mon soir de chorale...



La belle salle du Rex comble 

Quand je suis arrivée au Grand Rex, il y avait du monde partout, même avec le billet en main, il fallait faire la queue, mais tout le monde était joyeux, je sentais un "je ne sais quoi" dans l'air... "Je cherche un billet", affichait cet homme sur une enveloppe... Pas de chance, ça ne sera pas pour ce soir, tout est complet !

Au Grand Rex je n'y étais pas allée depuis que mes enfants étaient petits, ils ont vu ici tous les dessins animés de Walt Disney bien sûr, la féerie des eaux, des grands jets eaux, qui montaient et qui descendaient sur la scène, ils changeaient de couleurs sous les projecteurs, ça suffisait pour faire beau, très beau, un peu magique, et puis le grand bruit de l'eau qui dansait, les enfants n'en revenaient pas. Dans le ciel du cinéma, les étoiles scintillaient, le Grand Rex est inimaginable... Je pense que rien n'a changé depuis cette époque-là.

J'étais très bien placée, un chouille sur le côté, mais bon, parfait. Le temps que le public arrive, le concert a commencé à 21h au lieu de 20h30, c'est un détail qui compte pour celui qui doit prendre le métro pour rentrer...



El Gusto, c'est un orchestre très ancien composé d'une trentaine (vingt sont encore en vie) de musiciens et chanteurs, Pieds-Noirs (juifs) et arabes qui jouaient ensemble avec tous les instruments du genre, mandoline, mandole, contrebasse, violon, cithare, luth, deux pianos, flûte et une bardée de percussions, un xylophone... C'est ce que j'ai pu voir ce soir-là.

Ils jouaient ensemble le Chaâbi, musique populaire, née dans les années 1920 dans la Casbah... Les musiciens se sont connus ici dans ce vieux quartier d'Alger il y a un demi-siècle... Depuis, l'histoire, la guerre d'Algérie, le terrorisme, les ont séparés, ce sont des vieux messieurs aujourd’hui, réunis grâce au hasard d'une rencontre en 2003 dans une échoppe d'Alger avec l'un des musiciens de l'orchestre, que la jeune cinéaste Safinez Bousbia (30 ans), fascinée par leur histoire, a décidé de convaincre et de réunir à nouveau sur scène (2006 à Marseille) : elle réalise un documentaire El Gusto, ce travail lui demandera 2 ans, le film sort demain en salles.


Avec les percussions, les coeurs battent plus fort, regardez comme ils sont heureux, des jeunes ont pris le relais...

Bien sûr, quand j'ai eu des informations sur l'histoire de EL Gusto, du film, des concerts, j'ai aussitôt pensé au merveilleux film de Wim Wenders Buena Vista Social Club réalisé en 1999, et qui racontait un peu la même histoire d'un club légendaire de musiciens Cubains, dispersés depuis des années, et puis réunis par Wim pour faire son film, certains de ces musiciens avaient plus de quatre-vingt-dix ans. Un film fabuleux d'humanité, de drôlerie, d'enthousiasme, de beauté et de bonheur tout court.

Vous comprenez  maintenant, si vous avez vu le film de Wim, combien il était urgent pour moi d'aller au concert à la place de la répétition de ma chorale.


Monsieur Rachid Berkani

Donc, j'arrive au Rex pour le concert, c'est superbe cette impression d'assister à un évènement exceptionnel. J'avais emporté mon appareil photo... Je pensais à vous chers lecteurs... Et à la postérité !

Poussez pas, tout le monde rentrera...

Installée confortablement dans les grands fauteuils club du Rex, la soiré allait être fantastique, je le pressentais.

Sifflet, applaudissements, cris, agitation, alors, ça commence ?


Ça commence... des voix magnifiques

Deux hommes sont sur scène, un Rabbin, un Imam, ils commencent leur chant a cappella... Une merveille, la force et la douceur de leurs voix envoûtent, ensuite viennent les mélismes, les ornements, les pianissimo d'une intensité poignante... Quel beau symbole de fraternité que ces deux hommes unis dans la musique, ils se répartissant les gammes, je pense que l'un chantait en hébreux et l'autre en arabe... Ne connaissant ni l'une ni l'autre de ces langues, je ne sais pas, mais je pleure d'émotion... Ils reçoivent une pluie d'applaudissements, le concert a sacrément commencé...


Viennent les chants du Chaâbi, les cordes d'abords, les voix ensuite et les percussions qui bouleversent l'espace, l'émotion monte, la musique est magnifique..

Je suis touché par une chanson en français qui raconte ceci : Français de France, écoute cette musique, Français de France, soit le bienvenu... Des paroles d'accueil, des paroles de joie, de réconciliation.


Subitement, au détour d'une chanson, des crépitement de la percussion, des voix, des mandolines et du xylophone, les gens viennent sur le devant de la scène, en bas, où il reste de la place pour se mettre à danser des danses de là-bas, les hommes et les femmes se balancent... Il y a beaucoup de bonheur dans la salle...


Jusqu'à passé minuit, la musique a fait son office, réunir les gens, les sourires, les rires, les appareils photo sont de la fête, chacun sort son téléphone, pour saisir les souvenirs à bout de bras... Les deux hommes assis à côté de moi, venus seuls, connaissaient toutes les chansons, ils ont dansé, chanté et frappé dans leurs mains, sans se dire un mot, par timidité sans doute ? J'ai toujours vu un sourire sur leurs visages...

Rapidement, j'ai repris le métro, il était minuit et demi...  Chalom, salam alekoum, bonjour, tout avait commencé comme ça, ce soir-là ! J'ai voulu acheter le CD à la sortie, il n'y en avait plus...

Demain, je cours voir le film...

lundi 9 janvier 2012

Lisbonne, rua Augusta ... La fin de l'année 2011 !


Noël était présent partout, les Vierges avaient ce petit côté penché comme les vagues de la mer...

 Lisbonne est une ville compliquée d'accès, car il faut gravir une à une les sept collines qui la composent, mais moi qui craignais un peu pour mon genou, je n'ai eu aucune difficulté : tramway, funiculaire, bus, métro (et quelque fois même un bon Doliprane pour assurer mes arrières...), vous offraient un choix de roi pour aller partout, rapidement, et agréablement... C'est la plus grande ville du Portugal, 550 000 habitants, plus de 2 millions avec les environs...


Le beau funiculaire pour grimper la pente d'une rue

Dès mon arrivée dans le centre historique, comme d'habitude, je suis tentée de regarder partout à la fois, au risque de tomber très rapidement, le danger est double car les trottoirs, un peu défoncés, sont entièrement composés de mosaïques faites de grosses tesselles d'asphalte noir et de calcaire blanc, pas toujours bien jointées... Pour des grandes distraites comme moi, il faut quand même marcher avec prudence. Sur les plus belles avenues, la mosaïque devient arabesques... Par chance, il n'a jamais plu pendant mon petit séjour, ce qui fait que je n'ai pas pu expérimenter la glissade, ouf !


Mosaïque de calcaire banc


La mosaïque avec les beaux dessins

La rua Augusta est large et rectiligne, très commerçante, très fréquentée, un des axes principaux du quartier de Baixa, entièrement reconstruit après le grand tremblement de terre de 1755. Cette avenue est piétonne, bordée d'immeubles hauts et très sobres des 18/19e siècles. Cette belle rue débouche sur une énorme place au carré parfait, formée par des grands bâtiments administratifs aux belles couleurs vives, vert, rouge et jaune... Pour finir le parcours, on arrive juste au bord du Tage, aux portes de la mer, quelques marches descendent dans l'eau, on aperçoit alors deux  grandes colonnes de marbre blanc qui finalisent à merveille l'ensemble architectural. Les pieds dans l'eau, dans de petites vagues timides et mousseuses, et la tête couronnée de deux grosses boules blanches, ces colonnes servent de perchoir aux mouettes qui viennent au soir couchant,  bruyamment, embellir tout l'espace : elles hésitent, posent leurs pattes, agitent leurs ailes, font de gracieux ballets, pour le plus grand plaisir des touristes, dont j'étais... Quelle belle idée d'avoir planté là ces morceaux de marbres, ouverture symbolique et mystérieuse, qui nous invitent à rêver, à voyager... Au loin, quelques voiles glissent dans le bleu...


Les oiseaux, la voile blanche, le bleu, dans la porte ouverte sur l'horizon... La beauté !

Ce chemin, je l'ai fait dès le premier jour, et pris mes premières photos uniquement le long de cette grande artère... Un parcours jalonné de surprises, d'étonnement, de ravissement... J'ai besoin de temps pour reconnaître les lieux, percevoir les détails que je trouve à ma portée, je respire ce pays nouveau, en quoi est-il différent ? Je n'entends rien que je connaisse, le portugais sonne à mes oreilles comme une belle langue, douce et musicale. Je n'arrivais pas ici complètement vierge, j'avais lu le guide du Routard et quelques autres, visité les sites de tourisme sur Internet, pris des notes ça et là, et quand je suis arrivée là, dans cette grande avenue grouillante, je me suis dit : laissons aller les idées, regarde, respire, il fait beau, tu réfléchiras après... On ne peut pas connaître grand chose d'un pays quand on fait un saut de puce...




Dans la rue, les pâtisseries de Noël

Je me suis régalée, j'ai appris, j'ai réfléchi... Bon, faisons la grande rue, nous verrons après... J'ai vu comme à Istanbul des petits commerces de rue, des pâtisserie en grande activité, les azuléjos, j'ai dû les chercher, cachés dans des petites rues...


Le chanteur de la rue


Le cireur de chaussures de la rue


Le vendeur de billets de loterie de la rue


Le marchand de marrons au début de la rue


La marchande de fleurs de la rue


Les azuléjos qu'il a fallu chercher sur les maisons de la ville... (1)

Il ne faisait ni chaud ni froid ce jour-là dans les rues, on frôlait la douceur printanière, il y avait déjà des robes à fleurs... Le matin, on mangeait sur les terrasses au beau milieu des rayons du soleil, jusqu'à l'heure du goûter... Le soir encore, des grands poêles transparents, d'où s'élevaient des flammes, allumés au gaz, sans bois ni braises, attiraient les dîneurs qui n'avaient pas froid aux oreilles... La grand rue fourmillait de promeneurs, on parlait toutes les langues, mais surtout le portugais, dans d'autres rues, plus petites, plus éloignées de la mer, sur de jolies places on dansait, chantait, tambourinait, on fêtait la fin de l'année... J'ai vu plus tard que dans d'autres coins encore, des gens dormaient dans la rue, sous des cartons, au creux des porches... 

Demain nous verrons le reste... Aujourd'hui, vivons l’allégresse !

(1) Azuléjos : ce terme vient de l'arabe, il signifie pierre polie, et désigne un ensemble de carreaux de faïence (le plus souvent de couleur bleue mais il existe aussi de magnifiques  polychromies), assemblés en panneaux muraux qui ornent les façades des maisons, les églises, les intérieurs... En fait, cet art est directement hérité des Maures, qui le pratiquaient dans les mosquées, lors de leur occupation pendant des siècles. J'ai vu à Istanbul des mosquées sublimes entièrement tapissées de carreaux de faïence d'une très grande subtilité. Je me souviens de l'énorme émotion que j'ai ressentie en pénétrant dans ces extraordinaires lieux de cultes, les arabesques venues du Coran, les couleurs, les lumières, les grands tapis bleus, rouges, verts... Quelles découvertes.


Splendide travail de la faïence, dans un ancien couvent aujourd'hui transformé en musée des azuléjos

samedi 7 janvier 2012

Urgence, oeuvre d'art... Photographies de Christophe Agou.


Face au silence, respectueux… Travail de huit années d'imprégnation, de rencontres, le photographe s'est lié d'amitié avec des familles d'agriculteurs.

Il y a une quinzaine de jours, en me promenant avec ma (grande) petite-fille qui revenait d’Angleterre où elle est jeune fille au pair… Nous sommes tombées en arrêt devant une galerie de photos qui exposait le travail photographique de Christophe Agou !

Nous avons eu un coup au coeur, coup de grâce, coup de beauté, nous sommes restées sous le coup de l’émotion…

 

Les photos silencieuses parlaient de solitude, de vie quotidienne, de pauvreté et de travail, avec des lumières à la Rembrandt, Le Nain, et le coeur, l'accompagnement, le regard talentueux de Christophe Agou... Une exposition magnifique et émouvante.

Le grain de ses photos donne la chair de poule, il est à fleur de peau… Aucun travail additionnel sur le numérique, composition sans retouches,  tout est brut de décoffrage.

 

Dans l'intimité de leur maison, de leur salle à manger, de leur la cuisine, en pleine campagne, les personnes se sont livrées avec confiance. Leur environnement plus que nécessiteux blesse, l’exiguïté des poulaillers et des étables installés dans de vieilles voitures, amusants ou pathétiques ? Tous ces agriculteurs sont de la région du Forez (partie centrale du département de la Loire, de la Haute-Loire et du Puy de Dôme). Christophe Agou a su saisir leurs expressions dans un abandon touchant.

 Christophe Agou / Face au silence / depuis 2002

Les photos sont tellement humaines, pleines de beauté... Avec les objets, Christophe Agou fait des natures mortes superbes et fortes, avec les vivants, il fait de belles figures et du sensible... Comment faire du beau avec tant de détresse, d'isolement ? C’est le métier d’artiste qui veut ça, mettre de la beauté partout, pas d'exotisme, pas de voyeurisme, non, il met son regard, ses couleurs, au service de l'humain, il nous invite à comprendre, à admirer, à réfléchir. Les larmes me sont venues aux yeux, c'est souvent comme ça pour moi avec l'émotion, mais pas seulement par compassion : par fraternité. Je voyais bien que la grande victoire de l'art sur un sujet aussi délicat était à l'oeuvre, car si je pouvais me dire : "comme ces gens ont l'air délaissés, seuls", je pouvais aussi me dire : "comme toute cette beauté accompagne bien la gravité, c'est possible de faire ça, ça me touche, ça m’atteint, regardez"... La beauté est partout, merci messieurs dames d’avoir bien voulu qu'on soit un peu à côté de vous grâce à Christophe Agou.

 Christophe Agou / Face au silence / depuis 2002

Si vous êtes à Paris, courez, le plus vite possible, pour voir l’expo, elle s’arrête le 14 janvier, si j’avais su j’y serais allée plus tôt...



La galerie s’appelle « Fait et Cause », 58 rue de Quincampoix, Paris 4e… Dans une petite rue qui est juste parallèle au centre Pompidou, c’est une galerie associative qui se consacre à la photographie à caractère social, elle est ouverte depuis 1997…

Je la découvre aujourd'hui seulement…