dimanche 29 avril 2012

Le tout petit verre aux gros mots...


Le tout petit verre (avec punaise pour l'échelle)

Dans mon billet : les hauts d'affiches et les gros mots bas, je vous avais parlé de ce petit achat que j'avais fait chez une brocanteuse de Montreuil qui avait eu des paroles racistes envers les juifs et les homosexuels... J'avais regretté mon achat qui avait été fait avant ses paroles imbéciles...

Puis mes visiteuses m'ont réconfortée, Brigitte demandait même une 'tite photo, alors la voici...  J'ai rangé le petit verre avec les autres, dans un endroit où je mets tous mes verreries anciennes, glanées depuis des années dans les Puces et les brocantes... Celui-ci ne sera donc pas le meilleur souvenir, mais il est très joli...

Merci à toutes, pour vos jolis mots encourageants...

lundi 23 avril 2012

Promenade dans le Marais...


Les toits de Paris dans le Marais

Le soleil m'invite à déambuler dans Paris, voilà que je me retrouve dans le Marais, mon quartier de prédilection... Passer d'une petite rue à l'autre, lever le nez, s'étonner, c'est ce qui me va le mieux...

Histoire sans paroles... Suivez les couleurs...


Verte


Bleue


Ajourée, dans une cour


Belle perspective  grillagée...


Porte intérieure dans une cour


Plus près...


Magnifique verrières, presque impossible à photographier, dans une cour...


Cour ancienne, pavée

Et puis, les jardins des trottoirs et des hôtels particuliers... Suivez, suivez  le beau temps...


Reflets


L'Hôtel de Donon, côté jardin (Musée Cognacq-Jay) 



Plus près...

Je n'ai pu résister au Musée Cognacq-Jay, petit hôtel particulier construit dans le dernier quart du XVIe siècle, demeure de la Renaissance classique française. Les décors intérieurs sont très remaniés, la distribution générale à peu près intacte. L'impression de pénétrer dans une vieille demeure est trompeuse car toutes les boiseries, cheminées, planchers... Proviennent du premier musée Cognacq-Jay (1929) rattaché à une annexe de la Samaritaine de luxe, dans un immeuble du boulevard des Capucines... Lorsque celle-ci cessa son activité, en 1981, le musée dut déménager. La ville de Paris fit l'acquisition de l'Hôtel de Denon en 1974, le restaura, et y transféra les collections. Monsieur Cognacq et Madame Marie-Louise Jay furent les fondateurs de la Samaritaine.

 En 1928, à la mort de Monsieur Cognacq (sans enfant), la ville de Paris devient légataire de ses collections, essentiellement consacrées au XVIIIe siècle, qui à l'époque était devenu une valeur sûre : tableaux, mobilier estampillé, orfèvrerie, objets de vertu, sculptures... De très belles choses à tous les étages, les combles d'époque sont coiffées superbement par une magnifique charpente en bois qui évoque la nef d'un  bateau renversé...

Un enchantement, il y avait très peu de monde, le temps s'était soudain effacé, ni à la ville ni à la campagne, dans un autre temps, j'étais avec des oeuvres magnifiques dans une maison d'exception, un régal...


Venise, Guardi, 18e siècle


Venise, Guardi, 18e siècle


Venise, Canaletto, 18e siècle


Chardin


Le vieux chêne de Ruisdeal, 17e siècle



Le mobilier estampillé


La charpente des combles

Et pour finir, petit clin d'oeil à Michelaise... En hommage à Lucian Freud...



jeudi 19 avril 2012

Les hauts d'affiches et les gros mots bas ...

En haut de l'affiche : Quatre films très différents et très exceptionnels...


NANA : Un premier film de Valérie Massadian bardé de récompenses un peu partout dans le monde, la réalisatrice vient de la photographie, elle a exposé à Tokyo, Londres, Porto...

Une véritable découverte, un enchantement, Nana est le nom d'une petite fille de 4 ans qui est filmée dans sa maison, avec sa maman. Elles habitent la campagne, mais on ne sait pas grand chose de plus, la petite fille se trouve à certains moments seule, sa maman est partie, on ne sait où, pourquoi, comment, et nous voilà avec Nana qui nous livre avec grâce tous ses petits conciliabules, ses jeux, ses craintes, ses découvertes, elle s'arrange avec la solitude, le silence. Nana joue beaucoup, parle, raconte, passe le temps, avec nous, passionnant, enchanteur, un très beau film original, inspiré, émouvant...


Valérie Massadian l'a filmée avec patience, elle dit : "Je voulais faire un film avec une enfant et quand je t'ai rencontrée, j'ai su qu'avec toi je pourrais parce que tu me résisterais, qu'en face de toi je ne saurais pas tricher".

Le film s'est fabriqué entre elles deux, en laissant à la petite fille le plus de liberté possible, dans le silence, bercé seulement par la nature.

Une histoire de petite fille qui joue toute seule en attendant sa maman, son papy, mais nous ne savons pas bien qui sera là... Un conte d'enfant de 4 ans beau comme le jour !! À voir d'urgence.


I wish : Nos voeux secrets, de Hirokazu Koré-eda (Japon).

Lors du divorce de leurs parents, deux frères sont séparés. Koichi part vivre avec sa mère chez ses grands-parents à Kagoshima, alors que Ryunosuke vit avec leur père à Fukuoka. Ce film est prodigieusement bouleversant, on rit, on pleure, on pleure, on rit. 


De nombreux films ont été faits sur la séparation des parents et son empreinte laissée sur les enfants. Ici, le réalisateur renouvelle encore le genre. Hirokazu recommence tout depuis le début avec un talent admirable, les enfants sont magnifiques de drôlerie, de pertinence, tout est filmé à partir de ces deux frères. 


Leur famille décomposée les transforme, ils vivent la tristesse, l'attente, l'espoir de revivre ensemble et puis ils acceptent la réalité, et après un cheminement initiatique dont ils tirent des apprentissages multiples, ils  abandonneront les querelles familiales et choisiront de vivre selon leur désirs personnels... Comme des grands. 


Superbement filmé, avec la légèreté qui convient à ce monde enfantin, Kirokazu nous propose une perle, un évènement, un film raffiné, touchant du début à la fin, à ne rater sous aucun prétexte.


Ce film est un grand moment de bonheur !







Le policier : de Nadav Lapid (Israël).

Yaron est policier dans un groupe d'élite, appartenant à une unité anti-terroriste, sa femme attend un enfant. Il est beau, musclé, impatient d'être père, la brigade à laquelle il appartient est un lieu de camaraderie forte : accolades, embrassades, solidarité et barbecue, ils sont entièrement dévoués à leur pays... Un jour, des terroristes (de jeunes Israéliens) sèment la terreur dans un riche mariage... Ils demandent que les riche payent et que les pauvres s'enrichissent,  réclament plus d'égalité dans la société...Yaron se trouve confronté à la guerre des classes menée de l'intérieur.

Un beau film explosif, troublant, qui nous invite à tout repenser. "La force singulière du film consiste à montrer  que la société israélienne est autant menacée de l'intérieur par ses propres aveuglements que par l'Autre (le palestinien, l'arabe, le musulman)" (Les Inrocks).


La grande tension que nous percevons dès le début du film dans la brigade des policiers, se poursuit avec intensité, en changeant de pôle, avec les terroristes qui préparent leur coup contre "les riches"... Bien sûr les deux groupes, policiers et terroristes, se retrouvent sur l’affrontement final... Point de vue vraiment audacieux, passionnant et courageux de Nadav Lapid.

Un film que je recommande vivement...



L'enfant d'en haut : de Ursula Meier (France-Suisse)

Encore un très bon film que j'ai eu l'occasion de voir le mois dernier au Festival du Film de Femmes à Créteil, je suis ravie qu'il ait trouvé des distributeurs, les critiques sont excellentes.

Un jeune garçon vole du matériel de ski en haut des pistes d'une station très riche en Suisse, pendant que les touristes se désaltèrent aux terrasses des cafés, puis il redescend vendre son butin en bas, aux copains, aux amateurs. Il rapporte aussi de l'argent à sa grande soeur, les rôles sont inversés, c'est lui qui fait tourner le ménage, espérant par ses cadeaux récupérer l'attention, l'amour, la tendresse de sa soeur qui le délaisse... Il est toujours là pour elle, à la secourir, l'aider, lui faciliter la vie... Sans contrepartie... En haut la vie facile, en bas les galères, la tour HLM.

Simon a 13 ans, il est touchant, il émeut tout le temps, il essuie les plâtres d'une vie qui ne lui fait pas de cadeaux. Tous les jours, sa vie est suspendue au téléphérique.

De beaux cadrages sur de magnifiques paysages, des plans serrés sur le petit voleur, l'horizon est superbe blanc et rutilant, alors que la vie de Simon est bien petite, sans avenir immédiat... Un grand désert...

Allez-y, faites le succès du film, il le mérite.


Les gros mots bas :


Je vais aux puces de Montreuil depuis de nombreuses années, je chine, je flâne, j'épie, j'écoute, ce que je vois, ce que j'entends me plonge dans des réflexions interminables ! Cependant, mon ardeur a beaucoup diminué depuis que je suis à la retraite, non par lassitude, surtout pas, mais par peur de l'encombrement. J'ai toujours veillé à échanger ce que je rapportais par ce que je jetais, à égalité, quand il s'agissait de fripes. Pour les objets, aquarelles et autres curiosités, je me suis dit, terminé, ou alors il faut que l'objet de convoitise soit exceptionnellement beau et pas cher... Vous saisissez la contradiction d'emblée, donc je reviens très souvent bredouille et c'est tant mieux. Je fais des économies et alimente l'espoir de belles courses aux trésors pour les prochaines fois... Le prétexte aux  promenades devient durable... Moins je trouve, plus je me promène.

Ceux qui vont ramasser les champignons me comprendrons aisément, l'agitation, la frénésie, l'espoir sont tout ensemble au rendez-vous pour le beau parcours de santé, en pleine forêt, et surtout la délicieuse omelette fumante dans l'assiette... Aux Puces de Montreuil, l'ambition santé reste très modérée, sinon nulle.

Donc me voilà partie sur le chemin des rencontres de toutes sortes... J'avise sur l'étalage d'une brocanteuse que je connais depuis plus de 30 ans, sympathique, toujours souriante, pas trop dure sur les prix, un joli petit verre ancien, tout en verre émaillé, un peu plus gros qu'un dé à coudre. La discussion allait bon train entre une cliente et elle, j'ai bien envie de partir de Charenton, vers la Bastille, c'est bien la Bastille, ça bouge, c'est chouette, ah ! Vous trouvez ? C'est pas si bien que ça la Bastille, vous avez vu la circulation, le bruit ? Moi je trouve pas si bien que ça par-là, oui vous avez raison, j'ai pensé au Marais aussi, le Marais ? Mais le Marais c'est pas terrible du tout, il y a... Oui le Marais c'est vraiment bien, à part... Toutes les deux butaient sur les mots, hésitaient... J'attendais la suite : ah non, le Marais il y a trop de... Je regardais le petit verre, que je venais d'acheter, j'attendais, je me posais des questions : il y a trop de quoi ?

Mais oui, y'en a de trop y'a plein de gays et... L'attention était à son comble, j'attendais encore les mots de la fin, tout n'était pas dit... Et puis il y a trop de juifs !

L'affaire était faite, elles étaient toutes deux d'accord, trop de juifs, trop de pédés, elles prenaient de la liberté pour en parler, mais oui, trop de juifs, trop de gays...

Je n'en revenais pas, j'étais outrée, furieuse, accablée, voilà que les vilains mots étaient lâchés, comment était-ce possible ? Cette femme, je l'estimais sur du vent, son langage devenait subitement exécrable, raciste, de cette catégorie que je déteste... Elle en était.

Sur le chemin du retour, je réfléchissais sur ce que je venais d'entendre, à voix haute elles avaient déversé leur racisme sans ce soucier de gêner qui que ce soit, en toute quiétude... La bête immonde n'était donc pas morte, comme aurait dit Brecht... Le racisme contre les gays, contre les juifs est encore vivant à ce point, comment va le monde ? Comment c'est possible d'en être encore là ? Ce matin je trouvais que  le monde allait mal, très mal...

Pendant plusieurs jours j'y ai pensé et repensé, quelle banalité ce langage, quelle déception, quelle colère, quel chagrin je gardais en moi... Mécontente après moi, car j'avais acheté le petit verre si beau et si peu cher...

lundi 16 avril 2012

J'aime Chardin !


Aujourd'hui, je vais au Louvre, je ne vais pas voir la restauration du tableau de Léonard de Vinci : La Vierge à l'Enfant avec Sainte-Anne, non, il y aura trop de monde, trop de pression, trop d'énervement, pourtant ce n'est pas l'envie qui m'en manque...

Je vais voir Chardin (1699-1779) c'est décidé, un de mes peintres préférés, j'y vais quand je n'ai plus rien à voir, plus rien envie de voir... Je sais que je peux compter sur lui pour me consoler de ne pas pouvoir jeter un oeil sur la galerie italienne, trop de touristes...

Mais ce n'est pas une punition, loin de là, Jean-Siméon, je vais le voir par envie puissante, je feuillette ses tableaux comme je ferais avec un album de famille, avec tendresse, émotion, mais surtout émerveillement renouvelé...


De ce côté du Louvre, les collections françaises n'attirent pas grand monde, quel bonheur ! Et quelque fois même je me suis  retrouvée toute seule dans les salles, c'était à ne pas croire... Tout à l'heure, au pied de l'escalator, un groupe demandait au gardien : la Joconde, c'est où ?


Personne ne demande Chardin, chouette ! La tentation est grande de m'arrêter partout, devant chaque tableau, mes yeux habitués à leurs couleurs oublient encore les noms des auteurs, ah ! Oui, bien sûr, c'est lui, ah ! Madame Vigée Lebrun et son joli manchon de fourrure, chaud, rond, léger, parfumé sans doute...

Mais je ne vais pas tous vous les faire, restons concentrée, aujourd'hui c'est Chardin, uniquement... Presque...


Jamais je n'ai pu aller directement à Chardin... Non, je m'arrête toujours devant les petites études que j'adore (huile sur papier) de Pierre Henri de Valenciennes (1750-1819), placées dans un couloir, pas très bien éclairées, la photo impossible, j'ai donc pris celle-là sur Internet... Quelle beauté, tous ces paysages italiens, la lumière si douce, bleue, grise, rose illumine tout ce qu'elle touche, ces oeuvres font partie d'une donation (1930) de la princesse de Croÿ, elles sont exposées par roulement dans ce couloir...



Chardin, s'il vous plait ? C'est tout au fond, peintures 18e, parfait, j'y cours...Tout est à la même place, je peux sortir l'appareil photo, faire quelques réglages manuels, je veux que les photos reproduisent exactement les couleurs que je vois... Les  intérieurs de  Chardin sont fermés et les fenêtres sont rares, les objets sont dorés, la lumière du peintre fait étinceler les verreries, les cuivre et l'argenterie, toutes les matières ont leur densité spécifique, des plus fines aux plus lourdes, du regard on peut en retrouver la légèreté ou le poids. Ici nous sommes dans la cuisine, les fruits, les légumes les plus courants n'ont rien perdu de leur attrait, mais pourquoi donc la grenade mûre reste si vivante, ces oeufs si frais, la porcelaine et la faïence ne font pas le même bruit à l'oeil...



Sans cesse Chardin a travaillé sur les objets familiers de sa maison pour nous en offrir des impressions différentes, ses couleurs captent les reflets, les ombres et les lumières. Tout est calme et tranquille, le vin et l'eau coulent des jours heureux dans les verres, les pichets et les carafes, la virtuosité est extraordinaire mais pas seulement, l'élégance, la sobriété, la plupart de ses sujets sont humbles, représentés pour ce qu'ils sont, presque dans le dénuement, ses natures mortes sont peintes pour la contemplation... Ne vous êtes-vous pas extasié devant les rondeurs d'une belle brioche dans votre salle à manger ? Votre vieux panier d'osier, les fruits de saison posés dans une assiette, un couteau, une fourchette, une bouteille de vin, posés à côté de votre serviette, les regardez-vous toujours pour la première fois ? Non, bien sûr, et bien avec Chardin, c'est toujours la première fois. Comment peut-on peindre aussi généreusement, magnifiquement, les objets du quotidien ? Chardin nous rappelle les plats du jour, de chaque jour, son modelé, son intensité, sa noblesse accompagnent la simplicité de ses sujets avec grâce... Je ne m'en lasse jamais.



Dans ma campagne indroise d'automne, chaque détail compte, j'ai beau prendre et reprendre des photos, jamais je ne parviens à donner du goût aux fruits et légumes de saison comme a pu le faire le grand Chardin, dans ses compositions, restées si fraîches, si sensibles, si émouvantes...





Les vernis ont sans doute obscurci tous les tableaux de Chardin, laissant dormir dans l'ombre des histoires de cuisines... Chardin... C'est tout au bout de la galerie, allez voir si vous passez par Paris... Prenez votre temps, dégustez chaque point de vue avec gourmandise, tout est d'un grand raffinement, peut-être même Jean-Siméon redonne-t-il encore aujourd'hui un peu de sens à l'invisible... Le souvenir et l'oubli sont nécessaires à mon esprit, pour avoir le besoin et le plaisir de revenir à l'original incomparable... Alors, vous comprendrez mon enthousiasme.

mardi 10 avril 2012

Il m'a parlé du Paradis !




Le Panier, vieux quartier de Marseille


Je déambulais doucement le long du Vieux Port de Marseille, l'emblème touristique de la ville... Fatiguée, j'avais grimpé toutes les marches qui menaient à la vieille ville : le Panier, du nom d'une de ses rues, encore très populaire, est un des plus anciens et des plus pittoresques quartiers de la ville, avec la mer en toile de fond. Il est agréable de s'y promener, le lieu est bien rénové et même un peu à la mode, j'ai idée que la spéculation immobilière va y faire de bonnes affaires. On y trouve des boutiques d'artistes tels que des peintres, luthiers ou potiers qui proposent des objets insolites, originaux, uniques...Toutes ces ruelles étroites, demeurées telles qu'au Moyen-âge, ressemblent à un décor de film, et les façades des maisons sont pour certaines magnifiques.


Je n'avais donc pas économisé mes genoux, une rue, encore une rue, toujours plus loin... J'ai laissé des tas de trésors pour la prochaine fois. Quand je suis redescendue au Vieux Port, voulant m'y reposer un instant,  je pestais contre la laideur des immeubles rectilignes qui bordent la rive nord du port (détruit par les Allemands en 1943), construits après guerre par l'architecte François Pouillon, les façades sont devenues toutes grises avec la pollution... Aujourd'hui, le Vieux Port est essentiellement un port  municipal de plaisance  La seule activité de passagers correspond aux navettes touristiques qui vont au Château d'If, aux Iles du Frioul et dans les calanques de Marseille. Un bateau restaurant, à quai pour toujours, attire du monde dans ses filets... 



Petite pêche rescapée pour la joie des touristes 



À ma descente du vieux quartier, Notre-Dame de la Garde

Comme j'avais mon appareil photo sur le ventre, pas d'accent, et sans doute l'air hébété, un homme qui se trouvait à la barrière des petites installations portuaires (appelées à disparaître avec le projet Marseille Capitale européenne de la culture en 2013) m’apostropha gentiment : là, c'est le fort Saint-Nicolas, de l'autre côté le fort Saint-Jean, là, vous voyez l'église Saint-Jean, non, suivez mon bras, regardez mon doigt... Il était torse nu, ruisselant de sueur, le visage un peu rouge et  l'accent totalement marseillais. Il faisait un temps d'été, sans mistral. je suivis son doigts et je vis ce qui m'avais totalement échappé, derrière les mats de tous les bateaux qui stationnaient dans le port... Je distinguais les deux forts des XIII et XIVe siècles.


Oui, maintenant je les vois, mais je trouve très laids les immeubles gris de ce côté-ci... Mais non, c'est pas moche, rien n'est moche à Marseille, mais vous verrez pour 2013 ils vont tout arranger, ça sera très beau, c'est tout des hôtels... J'avais vu très vite qu'il y avait une grande différence entre ce qu'il me disait et ce que je voyais... Mais non, se sont des immeubles d'habitations monsieur... Ah ! Oui, mais il y a des hôtels aussi... Vous savez, vous êtes de quelle religion ? D'aucune monsieur... Bon, vous connaissez le Paradis ? Ici ça sera comme le Paradis... Et c'est comment le Paradis, monsieur ? Le Paradis, c'est magnifique, pas de pollution et pas de déchets, et vous savez c'est pour toujours, pour l'éternité, vous vous rendez compte, pas de déchets, quand vous avez envie de manger, vous y pensez et puis hop, vous mangez de bonnes choses rien qu'en y pensant, et puis là (il se frottait le ventre...), pas de déchets non plus, on vous projette un peu d'huile de colza sur le corps et puis rien, pas de déchets, vous vous rendez compte ?... Qu'est-ce qui pollue, madame, ici bas ? C'est les humains... Pas de ça au Paradis, tout est beau, toujours, toujours, voyez ? Moi je suis musulman, je crois au Paradis, c'est dommage que vous ne croyiez en rien, le Paradis ça devrait être pour tout le monde, ah ! Si tout le monde pouvait avoir la même religion... Mais ce n'est pas possible monsieur, vous savez bien... Oui, je sais... On tournait en boucle sur le Paradis, lui qui y croyait et moi... J'ai dû mon salut à un de ses collègues du port qui venait lui donner des nouvelles... J'ai fui, au revoir monsieur, et bon Paradis.


Si ce monsieur ne s'était pas déclaré musulman, j'aurais bien eu l'idée qu'il avait un peu bu, mais... C'est peut-être le soleil du port...



La couronne d'épines


Dans le vieux quartier que je venais de quitter, j'avais assisté à un début de procession du chemin de croix, une grosse cinquantaine de pèlerins chantait doucement, quelques uns avaient revêtu les habits des chrétiens de Nazareth, et la couronne d'épines trônait sur un beau coussin couleur du sang, dans les bras d'un prêtre.. 


C'était bien un jour où les questions se posaient, les désirs étaient forts chez les uns et les autres, l'éternité, le Paradis, la beauté, la bonté...


Demain, je ferai l'autre côté du port, les restos, le théâtre de la Criée, le cours Estienne d'Orves, cette magnifique place à l'italienne bordée de cafés, de beaux magasins, de terrasses au soleil...


Le Paradis, pourquoi pas, moi j'ai trouvé des couleurs qui pourraient bien y faire penser, voyez...


dimanche 8 avril 2012

Haute comme trois pommes...



Cueillies sur internet (photo de Larkeo)


Avec un printemps comme ça, je ne peux pas rester à la maison, je vais donc aux Puces de Montreuil, flâner sans souci de l'heure : le temps sur ce marché est différent, les aiguilles ne tournent pas, je ne sais pas pourquoi, elles s'arrêtent pile, aimantées par la nostalgie, la curiosité, le hasard... D'ailleurs, je ne mets jamais de montre, pas de rappel à l'ordre, pas d'ordre du tout, ici le spectacle est permanent, le désordre généralisé, les étalages présentent ce que personne n'a voulu garder... Ils proposent une deuxième vie, troisième peut-être, à toutes les affaires de la maison, les petites choses sans valeur, sans beauté particulière, souvent sans originalité, mais très utiles, donc indispensables, pour quelques euros seulement, le temps des bonnes affaires a sonné ! Tous les trente-six du mois, il vous tombe une petite merveille entre les mains, marchandage obligatoire, c'est le grand frisson, l'aura, l'aura pas à ce prix-là ?

Un grand sac en paille, de bonnes chaussures, le téléphone portable sagement rangé, la paire de gants pour éviter de me démolir les ongles, je fouille et je farfouille.

Du côté des vêtements, à la fripe,  il y a des montagnes d'habits à remuer : là, comme avec les tableaux, les couleurs agissent comme des aimants, pas de noir, pas de rouge, pas de couleurs trop pétillantes, je préfère des aquarelles, uniquement la peinture à l'eau.

Autour des tas immenses d'affaires neuves ou portées mais étuvées, s'affairent des dames qui fouillent, qui essayent, qui soupèsent, qui s'interpellent : regarde donc ça comme c'est joli, et presque neuf, impeccable, non, moi j'aime pas, mais pour toi c'est magnifique... Les maris accompagnent rarement les dames, mais ça arrive, alors-là le langage change un peu : bon t'as fini ? Mais ça, tu l'as déjà en trois exemplaires, t'en as plein tes armoires, mais tu vois bien que ce n'est pas la bonne taille, allez tu viens, on va prendre un petit café...Oui, oui j'arrive... Et le tour est joué...

On entend parler toutes les langues, mais il faut se méfier, tout le monde comprend le français, pas question de se marcher sur les pieds, entre dames on se conseille, on donne son avis, mais ce n'est pas toujours aussi angélique, quelques fois ça vire au drame, à la bagarre, au pugilat, des cris, des vociférations, mais le plus souvent c'est d'un calme olympien, on n'est pas là pour se faire du mal...

Il faut juste faire attention à ses petites affaires, ne pas tenter le diable qui repère les têtes en l'air, il ne faut pas être naïf sur le marché aux Puces... Comme dans les lieux publics, il faut serrer son porte-monnaie avec précaution mais finalement pas plus qu'ailleurs... Se faire voler est ma grande spécialité, je suis première au hit parade des statistiques, volée dans la rue, dans l'autobus, dans le métro, en bas de chez moi, à l'arrachée comme on dit, sur mon lieu de travail, dans les grands concerts en plein air... Mais jamais aux Puces de Montreuil ! Je n'ai jamais compensé mes pertes avec les petites pièces que j'ai trouvées dans la rue tout au long des années...


J'allais donc d'un tas de vêtements à l'autre avec amusement, et là, je l'ai vue, haute comme trois pommes, très mince, le visage marqué par l'âge, pleine de rides profondes, un peu de rouge à lèvres, de beaux yeux bleus, elle avait posé sa canne dans un coin pour ne pas être gênée, elle parlait fort, riait, elle était tombée sur une jolie veste en textile moderne, un genre de doudoune avec un grand col, vert amande très doux, le tout parsemé de minuscules paillettes qui brillaient comme des étoiles dans le soleil... La veste lui allait comme un gant, allait-elle oser ?

Comme elle demandait son avis au vendeur, je le voyais gêné, oui, oui, elle vous va bien... Je sentais son hésitation, par contre une dame qui fouillait à côté d'elle n'a eu aucune retenue : mais voyons madame, ça ne vous va pas du tout, il faut prendre du noir, à votre âge, du noir c'est ce qu'il y a de mieux... Je n'en croyais pas mes oreilles, deux fouilleuses à côté de moi qui avait vu aussi le manège s’exclamaient : mais pas du tout, elle vous va très bien cette veste, et nous avons croisé le fer contre la dame en noir... Elle est géniale avec, c'est quoi cette idée du noir...

Je trouvais la vieille dame qui avait envie de vert et de paillettes adorable, et vraiment la veste lui allait divinement, elle était parfaite, faite pour elle, du sur mesure, aux Puces c'est rare... Malicieuse comme tout, elle essayait encore. J'espérais bien qu'elle n'allait pas se laisser convaincre par la dame en noir.

Devant l'urgence, nous nous sommes littéralement liguées contre l’ennemi... Madame, cette veste vous va admirablement, ce vert tendre est la couleur idéale, avec vos yeux bleus c'est superbe...  Assez de noir, vous avez raison, c'est incroyable ça, de vouloir s'habiller de noir sitôt qu'on a dépassé l'âge... La dame en noir bougonnait, râlait, le noir c'est mieux, à son âge c'est le noir... Qui allait l'emporter ? Pour en remettre une petite couche et boucler l'affaire, avec élan je lui dis : Madame prenez-là, elle vous va à ravir !

La petite dame pétillante trancha dans le vif : je la prends, tiens, je la mets tout de suite, il faisait frais avec soleil, un jour de vieille dame décidée à ne pas se laisser faire, un jour de vert amande et de paillettes...

Nous étions ravies de son choix, nous pouvions nous remettre à chercher notre bonheur avec toutes les autres couleurs...

Si un jour vous voyez une vieille dame, belle comme le jour avec une jolie veste à paillettes d'or, une canne, un sourire et des yeux rieurs, faites-lui compliments...


dimanche 1 avril 2012

Vous avez dit Raphaël ? Et les autres...



J’ai regardé avec passion un documentaire sur la vie cachée des œuvres, on y décortiquait le magnifique portrait de Baldassare Castiglione, peint par Raphaël entre 1514 et 1515, qui est au Musée du Louvre.

Un aréopage de spécialistes en peintures anciennes observait de très près la peinture à la loupe, sous toutes ses coutures, à l’œil nu, avec des lunettes à laser et autres instruments très sophistiqués qui permettent de percer un peu la genèse de la création. Néanmoins, je fus amusée, surprise, interrogative et un peu désabusée par ce que je voyais et ce que j’entendais, et je n’apprenais rien d'intéressant.

L’histoire d’un tableau est toujours une richesse pour l’esprit,  elle nous emmène, c’est vrai, vers d’autres niveaux de compréhension. La curiosité, le désir d’être au plus près d’une œuvre est un régal : tenter d’expliquer sa fabrication, suivre le pinceau de l’artiste, la scruter dans tous les sens, sous toutes ses formes et ses couleurs, trouver les intentions cachées, interpréter les codes, les symboles, nous approcher ainsi de son mystère... Quelle que soit l’œuvre, que nous l’aimions un peu, beaucoup, passionnément et quelques fois même pas du tout, l’observation, la connaissance et l’intuition que nous en avons, même d'un chef-d’œuvre, est certes indispensable, mais rien ne peut remplacer le regard pour faire naitre l’émotion, le grand frisson… Je me souviens avec ravissement de l’émotion que j’avais eue devant le Saint Sébastien et autres Saints de Pordenone à Venise : tout d’un coup au détour d’une petite église (San Giovanni Elemosinaro), dans la pénombre j’avais aperçu ce corps de danseur courbé, imposé par la forme du tableau, qui m’avait éblouie... Depuis des années j’étais passée par là sans le voir, et puis un jour je l’avais vu danser devant mes yeux, rien de m’y avait préparée, ce fut une rencontre exceptionnelle (mon post du 8/11/2011).

Un regard peut suffire pour tomber amoureux… Sans discours, sans mise en scène, en toute simplicité, regarder ce qui se passe, observer ce qui est peint, comparer, suivre, s’approcher au plus près de la matière, prendre son temps... Rien ne vaut ce tête à tête, et l’enthousiasme que peut apporter un rendez-vous muet avec une œuvre. C’est peut-être à cause de cela que je préfère le plus souvent aller seule faire ces visites, je mets ma sensibilité à l'épreuve de mon observation plutôt que de mon savoir, qui est limité.


La carte postale du tableau de Stoskopff

Je me souviens aussi de cette joie énorme et inattendue que j’ai eue à contempler un tableau de Sébastien Stoskopff au Musée de l’Oeuvre Notre Dame à Strasbourg, j'ai le souvenir plus précis du tableau que de la cathédrale qui est pourtant magnifique. Ce tableau : « Corbeille de verres » (1644), j’ai tourné autour comme une mouche, j’ai pénétré le cristal, admiré la légèreté, la transparence, la virtuosité bien sûr, mais plus encore la composition et l’élégance, j’ai vu à travers la corbeille d’osier la fragilité des matières… J’ai vécu un moment inoubliable, une grande émotion. En fait, je découvrais ce peintre, dont je n'avais jamais entendu parler.

Mais revenons à notre documentaire... Je comprenais bien que tous ces gens férus d'histoire de l’art,  rassemblés autour du portrait, cherchaient à élucider une énigme, très importante à leurs yeux : le portrait de Baldassare Castiglione, peint en référence à la Joconde (même posture, même regard, même pose des mains), avait-il les mains posées sur une rambarde ou non ? Cette question me sembla justement tout à coup tellement dérisoire, que je n'ai pu prendre au sérieux tout le reste.

Tous ces gens savants, assis sur deux rangs de chaises, ratiocinaient avec gravité sur cette question : y avait-t-il appui sur rambarde ou non ? Il y avait quelque chose de désuet, d'incongru même dans la question... Puis une personne est venue faire la démonstration qu'en fait il n'y avait pas d'appui, preuve en main, si je puis dire, voilà l'histoire : le trait noir laissé autour du portrait était formé par la toile, naturellement vieillie, bien repliée sur le châssis au moment de la finition du travail d'entoilage, il ne cachait rien, pas le moindre indice d'appui, les mains étaient bien légèrement croisées sur elles-mêmes, tous les amateurs d'art très éclairés en furent immédiatement bien soulagés... Ouf !

Je plaisante un peu bien sûr en disant cela, je sais bien que l'étude du détail est importante, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, moi qui aime tant faire des histoires avec des riens, mais je restais quand même bien frustrée, car on ne parlait pas du tableau, seulement des mains croisées sur quelque chose... Rien de sa partie visible, du beau regard bleu et doux de cet homme, ami du peintre, de ses vêtements de velours et de fourrure, de son turban, de la résille du turban, de sa chemise blanche qui dépasse un peu, de la grandeur réelle du personnage peint de trois-quarts, du bout de chaise sur la droite sur laquelle il est assis, de l'ombre portée, de sa physionomie... Rien de tout ce que Raphaël s'échina à restituer de façon grandiose, pour la plus grande joie de son ami, avec un admirable talent.

Je me disais, c'est comme regarder un paysage avec des jumelles, on ne voit rien de l'ensemble qui vous enchante. Pendant longtemps à Venise, je me suis trimballée avec l'histoire des Saints sous le bras, dès fois que je raterais quelque chose, je voulais tout connaître, tout savoir, et puis j'ai bien senti que ça ne m'aidait pas à mieux regarder... Maintenant je peux y aller les mains libres, je passe mon temps à m'extasier,  comme si je voyais pour la première fois... Je découvre à chaque fois un paysage nouveau.

Je me souviens aussi du désir que j'avais il y a longtemps de connaître le nom de tous les arbres, de les nommer du bout des yeux à partir de leurs troncs, de leurs feuilles retournées je voulais être savante en botanique, horticulture, agriculture...  Maintenant, à l'automne, dans ma campagne indroise, sur mon vélo, à pieds, je ne cherche plus avec frénésie le nom des choses, je suis émue de tout : la beauté environnante, les chemins verts, le bruit des peupliers qui se balancent, le calme de l'étang où viennent se planter comme des clous les hérons... Mes yeux balayent l'horizon à 360° comme le vent...

Cette frustration m'a décidée à prévoir très vite une prochaine visite au Musée du Louvre...


Ma campagne indroise