mercredi 28 août 2013

La campagne indroise m'attend...


Le Berry joli...

Plus le temps de revenir à Venise pour l'instant, plus le temps non plus pour la Lombardie et le festival du cinéma de Locarno, juste le temps de boucler mes valises, ranger mes pots pour la confiture, ne pas oublier la couture, les perles, la tablette pour l'écriture et la lecture, les jumelles pour les oiseaux, le panier pour le vélo...

J'ai retrouvé mon appareil photo tout neuf, tout réparé, mes yeux aussi sont bons pour voir de nouvelles choses...

Je vais retrouver les champs blonds, taillés aux ciseaux, les arbres pleins de fruits, les noix, les noisettes sur les chemins, les figues du jardin, j'emporte le petit plat aux tartes, je vais retrouver le silence et les pleurs de ma voisine qui m'a déjà donné de mauvaises nouvelles... Je vais dans la vie de la campagne, tout s'entasse, les bons et les mauvais moments, je vais rouler d'un bon pas...

Mes amis je pense à vous, pensez à moi, je reviens début octobre...

Je vous embrasse mes fidèles, et tous ceux qui passez par-là, par hasard...

dimanche 25 août 2013

Venise 2013 en léger différé (4)... Il chante sur le campo !



L'enchantement de Venise !

Avant d'aller faire mes courses, au début de la journée, j'allais boire un petit café sur une terrasse bien abritée du soleil. Ici, le ciel est bleu chaque jour, je choisis ma table, celle du fond, bien tranquille, je pose mon chargement sur la chaise d'à côté : le chapeau de paille, le sac, je sors ma tablette pour être en phase avec le monde... Les infos, le courrier, coucou, d'ici tout va très bien, je ne m'ennuie pas du tout, le programme de la journée n'est pas encore fait, laissons les envies venir toutes seules...

Pas de programme ! Aussitôt je pense à Marianne, une vieille dame, que j'ai rencontrée il y a plusieurs années, en vacances, ceux qui me lisent avec patience la connaissent. Marianne disait, en parlant de ses enfants : "Dieu soit loué, dans la famille il n'y a eu aucun plan de carrière, chacun pouvait aller là où il devait aller, était-ce une qualité, je n'en sais toujours rien..." C'est à elle que je dois de ne pas m'affoler quand je ne fais aucun plan sur ma comète... Laisse aller, ma fille, la vie est belle...


L'église Carmini le soir venant... C'est là que je l'ai vu lever les bras et chanter trois notes, toujours les mêmes... Un matin !

En montant sur le pont qui me sépare du Campo, marchant derrière lui, je l'ai entendu pousser deux-trois notes, toujours les mêmes, en boucle. Un homme jeune encore, du haut du pont il levait les bras comme pour saluer une foule inconnue qui serait venue là pour lui, l'église devant nous resplendissait dans l'ombre du matin. Il allait en chantant "lalalalala", je me suis dit immédiatement, en le voyant gesticuler : le pauvre, il débloque, il a trop bu, il est joyeux certes, mais à ce point-là ça doit lui faire vraiment du bien... Il pénétra sur la place triomphant, les bras largement ouverts, de loin il salua des amis, il connaissait du monde, il était donc d'ici, je le voyais maintenant tout à fait d'un autre œil... Ni toqué, ni ivre, simplement gai du matin... Il allait très bien  !


Revoir cette belle couronne divine en bois doré de l'église S. Rafael...


Il chantait ses trois notes avec le sourire, un bel canto très dense, très compact, trois notes bien roulées... Confortablement assise en attendant le café, je l'ai vu se pencher, saluer avec de grands gestes, parlant fort, et pour finir s'asseoir à la table de deux femmes italiennes qui prenaient un jus d'orange, juste devant moi : buongiurno, come va ? Ce matin-là tout allait bien, il est resté quelques instants avec elles, il ponctuait ses phrases  de quelques mots de français, pour faire joli, élégant, comme moi quand je veux jouer les "italiennes de souche". Il avait une cigarette électronique à la main, l'air sentait la vanille et le café. Il allait faire très beau, il embrassa ces dames avant de partir. Aussitôt il ouvrit à nouveau les bras, respira l'air de la place, il prenait le frais, comme on le fait dans les champs, au bord de la mer, pour respirer du bon air, quand on vient de la ville... Ah ! Comme on est bien ici... Cet après-midi, je vais prendre un bon bain, me rouler dans l'herbe... On pense qu'on va se nettoyer les poumons, peut-être même vivre plus longtemps, comme je me sens bien ce matin.


Les transparences de Véronese... (Le repas chez Lévi)

Visiblement il connaissait bien le coin, il arpentait la place comme un visiteur qui la voyait pour la première fois... Il prenait possession des lieux... Il faisait son touriste, admiratif...

Après les nouvelles du monde, de ma famille, des amis, tablette fermée, j'ai fait comme lui,  sans me mettre à chanter, sans ouvrir les bras, j'ai regardé tout ce que je n'avais jamais vu, pour la première fois je me rendais compte que j'avais négligé ces fenêtres, ces cheminées, ce café, les bancs en piteux état, les grands arbres... Au bout d'une douzaine d'années...


La lumière (Le repas chez Lévi...)

Il  me fallait repartir du début : comme c'est beau ici, et ces grands platanes, ces acacias qui perdent leurs fleurs sur vos épaules, remarquable le petit campanile de l'église reconvertie en annexe universitaire, et le bon glacier dans le renfoncement, discret, presque invisible, et pourtant il fait les meilleures glaces des alentours : au chocolat avec des morceaux croquants dedans, une pistache parfumée... Je vais toujours chez lui, et hier, dimanche, je me réjouissais à l'avance de déguster ma glace, et patatras, il était fermé, je suis allée me défaire de mon envie pressante chez un autre, rien à voir, un chocolat banal sans craquant, sans réel plaisir, mais je n'en ai pas laissé une miette, il faisait si chaud...


Le verre de vin (Le repas chez Lévi)

Ainsi donc, il suffit de quelques notes de musique, toutes bêtes, sans suite dans les idées, de bras largement ouverts sur la journée qui commence, pour avoir envie de tout reprendre à zéro...

L'année prochaine je recommence tout... J'ai oublié tellement de choses...


L'Annonciation de Véronèse (détail)... Tout revoir, tout revisiter, tout reprendre à zéro...

mercredi 21 août 2013

mardi 20 août 2013

Affaires touristiques urgentes en Suisse... Suite...




Variation sur le thème du lac... Léman !

mercredi 14 août 2013

Affaire touristique urgente en Lombardie...

Torno subito.... Aspettatemi !



Lago di Lugano... et pédalos !


jeudi 8 août 2013

Venise 2013 en léger différé (3)... La dame à sa fenêtre !

La chambre du Doge Grimani


Une des salles du Palais Grimani

Les expositions annexes à la Biennales d'art contemporain sont visibles partout dans la ville, 
en général les entrées sont gratuites, mais au Palazzo Grimani, comme ils avaient couplé l'exposition temporaire et la visite du palais, c'était payant !

Le palais est une véritable merveille, un petit bout d'histoire : au début du 16e siècle, le Doge Antonio Grimani, grand collectionneur d'oeuvres d'art, fit don de sa demeure à ses descendants. C’est avec Giovanni, patriarche d’Aquilea, et son frère Vettore, procureur de San Marco, que le palais Grimani connut sa plus grande gloire. L’architecture et la décoration sont une intégration de style toscan-romain et vénitien, de nombreuses pièces étaient destinées à accueillir les oeuvres d'art de la famille, ces écrins sont divins !




Fresque (détail) au plafond, maïs et oiseaux, de Camille Mantovano, 16e siècle

Dans ce palais, on admire tout ! Les expositions temporaires n'ont qu'à bien se tenir, car il y a de la concurrence avec les décors du lieu. 




Verrerie de Mishima Ratsue et fresques...

Ainsi avec Mishima Ratsue, artiste japonaise établie depuis 25 ans à Venise, j'allais d'émerveillement en émerveillement, elle proposait une très grande série de verreries (des vases) en verre transparent, miroitant avec la lumière, pouvant mettre en valeur les bouquets les plus simples, les plus colorés, les plus sophistiqués. Les vases étaient aussi en quelque sorte des objets à contempler pour eux-mêmes, dans leur plus extrême somptuosité et fragilité, nus, près de la lumière du jour, ils formaient des ruisseaux qui coulaient sous vos yeux...



Verreries de Mishima Ratsue

Les formes étaient variées, massives, emberlificotées dans des monceaux de verre incolore et limpide... Il vous suffisait de choisir votre vase préféré pour agrémenter la visite, moi je n'ai pas pu choisir,  je les ai tous emportés dans ma tablette... Mon appareil photo m'avait lâché en route,  une semaine avant de terminer mon séjour, c'est dur... Il était coincé de l'objectif, rien à faire pour le guérir sur place,

Ma tablette me suivait partout, sous le bras ou dans mon sac, prête à tout... Mais elle n'avait pas la précision de l'appareil photo...



Verreries dans leur écrin...

Dans le palais, les fresques, les tableaux, les bronzes, les décors en marbre polychrome, les plafonds peints, les stucs dorés, juste ce qu'il fallait, faisaient de ce parcours un délice, une secousse, des frémissements... De plus il y faisait frais, les ventilateurs tournaient dans toutes les pièces à plein régime, vous y seriez resté le reste de la journée. La grande cour, inspirée de la Grèce antique, colonnée de marbre rose sur ses quatre côtés, était tout simplement superbe  ! Je pensais aux nombreux concerts et pièces de théâtres qui pourraient se jouer là avec bonheur.



Verreries et palais...

Le grand escalier estampillé baroque regorgeait d'anges et d'allégories, il fallait lever haut la jambe pour arriver à l'étage noble... Ces palais nécessitaient  la souplesse des mollets...

Comme l'étage visitable n'était pas immense, on pouvait repartir du début autant de fois qu'on le voulait, on pouvait prendre des photos partout, royal je vous dis, royal !



La cour de la dame à sa fenêtre

J'avais fait plusieurs fois le tour de la demeure, entre le verre et les couleurs de chaque pièce, il était bien difficile de quitter les lieux, encore une photo et puis une autre, par la fenêtre ouverte, j'aperçois une jolie cour, un escalier gracieux, sans doute de l'âge du palais, les pieds dans le petit rio qui le bordait... Des plaintes avaient attiré mon attention, je voyais la dame à sa fenêtre, sur le côté, la vieille dame, très maigre, sur un fauteuil roulant,  geignait doucement, comme une enfant, lancinante. Elle ne bougeait presque pas, sa jupe relevée jusqu'au haut de ses cuisses, impudique, visiblement elle était ailleurs, plus de sens, ni de son corps, ni du monde, la beauté qu'elle avait sous les yeux n'existait sans doute.plus à ses yeux. Elle hochait de la tête, bougeait faiblement ses bras ankylosés, et ses plaintes sourdes, régulières, recommençaient... Juste derrière elle, une femme vint et lui a tapé un bon coup sur la tête pour qu'elle cesse... Elle cessa... Sans plainte !

Témoin d'une maltraitance, je suis restée pétrifiée, la journée gâchée, impuissante...

Madame à votre fenêtre, je ne vous oublie pas, votre petite silhouette m'attriste, si vous pouviez m'entendre... Mes pensées vont vers vous...

mardi 6 août 2013

Venise 2013 en léger différé (2)... Regarde la grosse dame violette !


Alison Lapper pregnant... Sculpture gonflable de Marc Quin

La première fois que j'ai aperçu cette très grande sculpture violette, trônant  majestueusement juste à côté de l'église S. Giorgio, étincelante de blancheur, je me suis demandée de quoi il s'agissait. Je ne savais rien de cette oeuvre, rien de l'artiste, rien de rien, la surprise était totale, mon imagination s'est tout de suite mise en marche... J'ai inventé...

Tiens, c'est quoi ce truc énorme, entre le bleu et le violet ? En regardant les bras qu'elle n'avait plus, j'ai pensé aussitôt à la Vénus de Milo, je l'ai trouvée bien grossie, très très en chair, je me suis dit : Ah ! Ces artistes, ils nous réservent bien des surprises ! J'avais remarqué aussi que les jambes et les pieds étaient un peu déformés, la tête un peu masculine, le regard droit et hautain, de temps en temps le corps entier dodelinait avec le vent, j'ai réalisé alors que c'était une statue gonflable. Le soir, elle se dégonflait tout à fait et disparaissait à l'intérieur du socle, le mystère était total pour moi...

Bon, j'irais la voir de près plus tard, mais quand même, c'est bizarre ce corps lourd, pas terminé, instable, si pesant et si léger à la fois. Quelques jours après j'ai aperçu son gros ventre : enceinte ? Un corps de femme, une tête d'homme, je n'ai plus cherché midi à quatorze heures, cette oeuvre déclinerait-elle un aspect de la beauté antique ? J'ai cessé de me poser des questions, j'ai attendu, tenté à chaque passage de la photographier...


Alison Lapper d'un peu plus près... De Marc Quin

Le jour de la visite à S Giorgio est arrivé : tout le monde descend ! Il y avait une masse d'artistes contemporains à voir dans l'église et ailleurs sur l'île, sitôt débarquée je suis allée voir la sculpture géante, et j'ai lu le carton explicatif accroché sur le socle : j'ai découvert alors le pot-aux-roses.

J'avais tout faux, pas du tout Vénus de Milo, pas du tout masculine, pas du tout antique... Sur le socle de la dame violette, il était dit qu'elle représentait Alison Lapper "pregnant" (enceinte), et qu'elle avait fait l'ouverture des Jeux Paralympiques de Londres. Je ne savais rien non plus sur cette femme, et c'est seulement en rentrant chez moi que j'ai feuilleté le grand livre d'Internet, avec beaucoup d'émotion, voici pourquoi :

Alison Lapper est une artiste peintre qui utilise la photographie, l'imagerie numérique et la peinture pour créer ses œuvres, elle est connue et reconnue en Angleterre, elle a 48 ans. Alison est née handicapée, sans bras, avec des jambes tronquées, elle a totalement abandonné ses membres artificiels qui l'avaient accompagnée pendant quelques années, elle vit aujourd'hui en autonomie parfaite, ou aidée, comme au  moment (2000) de la naissance de son fils, Parys, qui est né tout à fait normal.


L'enfant, parfait, de marbre blanc... De Marc Quin

En 2007, elle pose pour l'artiste Marc Quin qui réalise la sculpture : Alison Lapper pregnant, en marbre blanc de Carrare. Cette sculpture fut exposée à Trafalgar Square de 2005 à 2007. Une réplique géante de la sculpture fut sélectionnée pour l' inauguration de la cérémonie d'ouverture des Jeux Paralympiques en 2012 à Londres.

Voilà à peu près ce qu'il fallait savoir pour tout comprendre et réfléchir autrement, avant de partir dans mes élucubrations olympiques vénitiennes. J'ai même pensé, par manque d'information, que cette femme était elle-même une athlète, cette splendide sculpture de Marc Quin restait pour moi  un symbole très fort pour tous les humains, un corps différent, magnifié, et la possibilité d'un bel art de vivre autrement.

Vous le voyez, ma Vénus de Milo, entrevue sur le bassin de Saint-Marc, était donc très loin de tous les clichés antiques, structure légère et imposante, elle a éveillé mon attention, et aujourd'hui, mon respect et mon admiration la saluent... Bravo et merci aux artistes qui nous aident à mieux voir et peut-être à mieux comprendre le monde...


Alison Lapper pregnant... De Marc Quin

Chaque fois que je croisais cette grande femme violette, toujours dans l'ignorance de ce qu'elle était vraiment, je ne pouvais m'empêcher de penser à un bel exemple de courage, et de force, et de vie...

Ainsi, sur le vaporetto, quand la mère de famille a crié à ses deux enfants et à leur père : regardez la grosse dame violette ! Je n'ai pas ri, il m'en avait fallu du temps pour admirer cette humaine géante, aux couleurs azurées, qui se balançait doucement au gré du vent, c'est bien plus tard que les mots vinrent me faire connaître son histoire... J'avais plaisanté,  tout comme eux, c'est bizarre ce truc-là, une grosse dame sans bras, énorme, un gros ventre, les cheveux très courts... Et son regard qui perçait l'horizon... Vraiment curieuse, cette oeuvre...

Ils étaient gais, enchantés, les deux enfants (une douzaine d'années chacun) s'amusaient de tout, encourageaient le père pour la moindre photo : vas-y papa, attention, ça bouge drôlement, tiens bien l'appareil, là, là regarde, c'est super beau ! Papa faisait un panoramique, tout le monde supervisait... Le père montrait sa copie à chaque prise de vue : ça vous plait ? Parfait !

La mère continuait sa revue de paquetage : regardez, le bateau là-bas est très original, et quand nous sommes passés sur le rivage de la Salute, elle trouva qu'ils auraient pu nettoyer la grande porte. Elle voyait la plus belle avenue du monde pour la première fois, avait un avis sur tout avec gourmandise. Je n'avais pas envie de les quitter, grâce à elle je découvrais les petits détails qui m'avaient échappés, avec cette fraîcheur du premier regard, mais je suis descendue quand même là où je devais descendre, les laissant à leurs merveilles : papa, prend ça, oui, oui attendez, là, c'est vraiment bien, mais ça bouge un peu, attendons l'arrêt du bateau... Les beaux visiteurs, curieux de tout...

dimanche 4 août 2013

Venise 2013 en léger différé...Presque sans paroles !


2011, la petite niche du 17e siècle juste au bout du petit pont...



2013, la petite niche... + graffiti... 

Quand je suis arrivée à la hauteur de la petite Vierge du bout du pont, je me suis dit : il me semble bien que ce graffiti n'était pas là en 2011, j'avais en mémoire le post que j'avais fait sur "le signe" qui se passait juste à cet endroit, mais je n'en étais pas certaine.

Combien de temps faudra-t-il pour effacer ce nouveau signe des temps nouveaux ? Le crépi est magnifique, rouge terre, il est lisse comme une pêche, éclatant comme un matin, moi qui ne m'occupe pas plus que cela des graffitis à Venise, j'ai eu un petit coup au coeur, triste...

vendredi 2 août 2013

Venise 2013 en léger différé... Mais Jean, où va-t-on ?




Le Grand Canal, la plus belle avenue du monde...

Un mois à Venise, vous imaginez le nombre de petites histoires que j'ai pu engranger, histoires du jour, histoires du soir, histoires de rien,  tout ce que j'aime, coup d'oeil, coup de coeur, coup de sang, sur terre ou sur mer, il se passait toujours des milliards de choses intéressantes autour de moi, ne cherchez ni dans les guides, ni dans les cartes, tout est directement connecté à mes émotions... Pas de chronologie, comme dans les souvenirs, ça ne tient qu'à un fil... Au début je notais chaque jour tout ce que j'avais vu, tourner à gauche, tourner à droite, je reviendrai... Mais quand ? A Venise, vous ne savez jamais quand vous allez retrouver exactement le même chemin... Et puis très vite, j'ai cessé de noter...J'ai suivi le vent, je me suis promenée, j'ai visité, j'ai fait des rencontres... J'ai eu des émerveillements !

Sur l'eau :

Pas méfiants, ils étaient montés dans le premier vaporetto venu, comme si tous les bateaux allaient au même endroit : le Grand Canal... La plupart y vont, c'est vrai...

Ils étaient très bien installés, trois générations à l'avant du bateau, les meilleurs places, il faisait doux, l'air marin était caressant, le soleil baissait sa garde, on pouvait déplisser les yeux, garder la tête haute, sans chapeau, j'avais d'ailleurs ôté le mien et l'avais glissé au bras par le petit élastique qui le maintenait sur ma tête. Aucun coup de soleil à craindre, approche toi, viens par ici, on est très bien ! La petite demoiselle avança de deux places vers sa grand-mère, là, c'était parfait... La promenade serait idéale ! Le grand-père resterait debout, il n'y avait plus de place pour lui, il scrutait l'horizon...


Le Grand Canal...

Au bout de deux minutes il y eut de l'électricité dans l'air, la grand-mère tournait la tête de tous côtés, apeurée, désespérée, les yeux lui sortaient des orbites, mais Jean où va-t-on ? Le vaporetto glissait gentiment sur la lagune tout à fait dans le sens contraire à celui qu'ils avaient imaginé. D'un seul coup d'œil j'avais compris la désolation, le désastre, panique à bord, lancez les bouées de sauvetage... Ils s'étaient trompés, abusés, ils avaient pris le mauvais numéro, qu'allaient-ils devenir ?

Ils n'étaient pas sur le bon canal, il fallait tout reprendre depuis le début : Jean avait à peu près capté la situation, "on dit" que les hommes on un meilleur sens de l'orientation ? Moi je suis très mauvaise en orientation par exemple, mais bon, je n'en fais pas du tout une généralité... La grand-mère n'avait plus les yeux en face des trous, la fille et la petite-fille étaient plus calmes, la jeune fille ne se souciait pas du tout du parcours, elle était bien placée, en plein air, elle pouvait prendre de magnifiques photos, pas d'histoire s'il vous plaît ... Tous allaient à vau l'eau, ils auront sans doute bientôt le mal de mer : Jean, mais où allons-nous, ça ne va pas, ce n'est pas par là qu'on veut aller... Ils voulaient remonter le Grand Canal, tout droit, s'en mettre encore plein les mirettes, des beaux palais et des gondoliers en maillots rayés qui chantaient "O sole mio" .

Pour la première fois cette année, je tenais à le signaler,  j'ai entendu un gondolier qui susurrait aux jeunes mariés" Mama mia dammi cento lire", une très belle chanson traditionnelle italienne qui dit ceci :


Maman, donne-moi cent lires
car en Amérique je veux aller
Maman, donne-moi cent lires
car en Amérique ... je veux aller
Cent lires je te les donne,
mais en Amérique non - et non
Cent lires je te les donne,
mais en Amérique… non - et non
J'ai bien peur que si tu pars,
mon fils, je ne te reverrai pas
J'ai bien peur que si tu pars,
mon fils… je ne te reverrai pas
Quand il fut en haute mer
le navire a coulé
Quand il fut en haute mer
le navire ... a coulé
Les paroles de la mère
étaient pleines de vérité
Les paroles de la mère
étaient pleines… de vérité
Il ne reste que la mémoire
de son fils qui est parti
Il ne reste que la mémoire
de son fils ... qui est parti...

Le vaporetto remontait maintenant l'épine dorsale de la Giudecca, il avait fait un joli tour à gauche, juste à l'opposé de la place Saint-Marc, pas du tout sur le Grand Canal, la fin de soirée était belle, l'église du Redentore resplendissait de toute sa pierre blanche, le panorama  était unique, mais ce n'était pas du tout par ici qu'ils avaient envie de naviguer. Jean, qu'est-ce qu'on fait ? Où on va ? Ce n'est pas le Grand Canal ? On s'est trompé, la deuxième et la troisième génération, toujours distraites, ne disaient rien, je sentais bien qu'elles faisaient entièrement confiance à leur capitaine : Jean !

Un soir entre chien et loup

Moi qui revenais de la Biennale, j'aurais pu aider,  même très fatiguée... Je n'en fis rien, ils verront bien, Ulysse aurait trouvé tout de suite, lui qui avait l'habitude des vents contraires, mais Jean ne savait rien, il pencha son corps le plus loin possible sur le côté du bateau pour lire le panneau des stations et d'un coup il prit le gouvernail, je n'avais pas eu besoin de bouger le petit doigt, Jean décida : à la prochaine il faut descendre, il faut changer... Allez vite, préparez-vous.

Je me suis amusée à les voir si tendus, surtout Mamie, et puis j'ai pensé tout aussitôt : ça n'est pas grave, ils vont visiter l'autre rive, regarder la place Saint-Marc de loin, ils verront comme c'est beau, Jean saura bien reprendre tout en main. Quand le vaporetto est arrivé à quai,  j'ai vu la petite famille sauter rapidement, courir à l'autre ponton pour repartir dans le sens inverse, allons bon, les voilà sortis du pétrin, et ce soir, arrivés à bon port, enfin chez eux, ils riront bien de leur méprise, on va raconter ça aux amis, ils vont bien rire...


Le Grand Canal et la belle masquée...
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