jeudi 30 janvier 2014

Paroles, paroles, paroles...


Les caddies bien rangés

Finalement, de temps en temps j'aime bien aller dans ma grande surface du coin, je ne fais pas attention à la foule, j'ai ma liste sur le papier ou dans ma tête, je fonce sans me presser, là où je dois aller...

Je n'ai pas de jour particulier, je ne suis pas assez disciplinée pour ça, j'y vais quand je ne peux pas faire autrement, donc ça peut être n'importe quand... J'ai ma petite façon de faire, je flâne facilement aux fruits et légumes, tiens, si je faisais des haricots plats, du chou, des pommes de terre ? Aucune idée préconçue, je fais mes menus au feeling, au jugé, suivant la couleur et les prix, vous voyez un peu le genre...

Quelques fois tout de même, j'ai des idées toutes faites, mais je peux changer à la dernière minute, je ne suis pas une cliente sûre à 100 %. Je ne prends jamais de caddie, juste le petit panier pour faire léger.

L'abondance ne nuit pas ? Je ne sais pas pour vous, mais pour moi l'abondance me nuit gravement, quand il y en a trop, j'en ai tout de suite assez, je veux partir, fuir, je n'ai plus d'idées, je porte plainte en moi-même, je deviens exécrable, infréquentable, mieux vaut ne pas me rencontrer... Je n'ai plus envie de rien... Je pourrais renverser mon panier sur le plancher...

Quatre-vingt douze mille sortes de yaourts, deux cent cinquante sortes de fromages, deux mille sortes de pâtes, des fruits qui viennent de l'autre bout de la terre, d'été, d'hiver, toutes les saisons sont mélangées, pas facile de faire son marché... Dans ma rue, le dimanche matin, il y a beaucoup moins de choses, tant mieux.


Trop de choix ?

Je tire le petit sac en plastique, je remplis, je pèse, je colle l'étiquette, quand je peux j'aide mon voisin qui ne voit rien, qui ne sait pas lire, qui a les mains qui tremblent, merci madame, z'êtes bien gentille...

Je passe le plus souvent aux caisses automatiques, là où on scanne soi-même ses paquets, plus aucun scrupule, je suis bien lovée dans le moule de la consommation. Au début, quand ces caisses qui supprimaient des emplois ont été mises en place, je rouspétais : voilà encore une manière de réduire les frais généraux, de mettre des gens sur le carreau, si c'est pas malheureux tout de même, je n'irai jamais faire faire mes additions par une machine.

Et puis de l'eau a coulé sous les ponts, parties les belles résolutions, envolés les rugissements, les révolutions écrabouillées, je passe bien gentiment et personnellement mes codes barres sous le rayon laser ! Je ne suis pas un modèle à suivre, fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais, la lutte a été de courte durée, les files d'attentes ont été de plus en plus longues pour faire la(e) caissier(e) comme quand on était petits...

L'engagement ne tient plus la route, ne fait plus recette, n'oubliez pas votre monnaie dans la petite fente sur le côté, les billets par ici, les pièces par là... J'obéis !

Les tapis roulants qui vous montent à l'étage me mettent dans tous mes états, j'ai quand même gardé un peu de colère... Mais pourquoi donc, Danielle, pourquoi tu t'énerves comme ça ? Entre les quatre tapis roulants qui montent et qui descendent, il y avait des espaces vides dans cette grande surface. Leur nature ayant horreur du vide, les vides ont été remplis avec des stocks de bonbons, de gâteaux de toutes sortes, les enfants qui passent par là avec leurs parents n'ont plus qu'à passer le bras pour pêcher un paquet, même deux, les familles n'ont même pas le temps de dire : non, ça suffit, tu n'auras pas de bonbons, il y en a déjà à la maison, que les sucreries sont déjà dans le caddie... C'est du pousse au crime, de la malhonnêteté, de la tentation sournoise, attraper les enfants par les yeux c'est tellement facile, tellement laid, ça ne devrait pas être permis, mais tout est permis quand on vend... Je peux vous dire que sur les tapis roulants, il y a des enfants qui rient et beaucoup d'autres qui pleurent...


Les tentations !

Donc à l'aller je fulmine, et au retour je continue, j'ai quand même remarqué qu'au fil des jours mon ardeur faiblissait, après plusieurs mails assassins envoyés au grand magasin, rien ne change, je ne vais pas me battre contre des moulins à vent... Je coule, je coule...

Elle s'était arrêtée devant lui, calmement elle lui a dit : François, pourquoi tu me parles comme ça ? Lui n'a rien répondu sur le moment, entre les poires et les fromages il ne s'y attendait pas : ben quoi, ah ! Tu m'embêtes avec tes grands airs... François, pourquoi tu me parles comme ça ? Dans ses yeux bleus il y avait de la tristesse, ils avaient tous les deux des cheveux blancs, et peut-être aussi un long parcours de cent ans, de quoi ne plus se parler ou se faire mal, mon cœur  s'est serré, c'était pire que les bonbons des escaliers.... Dans le grand magasin c'était comme au théâtre, il y avait des drames à tous les rayons, des énervements, des mots qui coupent, qui blessent, qui partent comme des boulets de canons... On meurt, on pleure, on s'étripe, c'est peut-être pour ça qu'il y a énormément de bonbons partout, pour la douceur ? Je ne sais plus...

mardi 28 janvier 2014

Les cafés de Séville... (3)


Les beaux panoramas des cafés de Séville

Quel plaisir de s'asseoir dans un café à Séville : l'ambiance, l'odeur, la frénésie du coup de feu, les gens, le bruit n'embêtent personne......

Dès le matin j'utilisais l’estaminet sévillan pour le petit déjeuner, loin du buffet pantagruélique de l'hôtel qui proposait, à peine levée, tout ce qui pouvait se manger dans une journée : je déteste ces étalages tapageurs. Pour mes tartines de pain beurré, le chouille de confiture et un thé bien servi dans une grande tasse, le petit bistrot d'en face m'allait bien mieux...

Dans le petit café, il y avait juste la place pour deux tables rondes, souvent occupées par des clients qui faisaient comme moi, un petit déjeuner normal, dans la bonne humeur, et un petit guéridon haut, toujours libre avec ses deux tabourets d'appoint, un peu moins confortables, mais attendez que je vous dise le prix de la collation du matin : 2 euros par personne, service compris, tout compris, nous ne devions même pas débarrasser la table avant de partir. Ah ! Bien sûr le service était spartiate, il fallait passer commande au comptoir, livraison au même endroit. Bien sûr, il y avait deux grands écrans de télé qui se faisaient face, tout le monde pouvait profiter des infos qui défilaient en permanence, le son était ouvert sur un seul écran, une machine à distribuer le tabac faisait clic, clic de temps en temps. Les clients habituels étaient du coin, tout allait très bien, à la fin du séjour, les patrons nous servaient sans demander ce qu'on voulait, on avait progressé en amitié et en reconnaissance, nous étions de Séville, intégrés au décor, olé !

Nous adorions ces petits matins espagnols avec les gens d'ici...


Entre l'abondance et le Carême


Le midi, pour les tapas, nous courrions vers nos "bonnes adresses", un régal, souvent nous nous faisions aider par nos voisins de table, la langues des signes fonctionnait à plein, il suffisait de montrer du doigt ce qu'ils avaient dans leurs assiettes pour avoir aussitôt les mêmes choses dans les nôtres... La solidarité jouait à merveille... Nous pouvions faire l'impasse sur l'espagnol avec la méthode Assimil, l'anglais ne servait à rien, seul l'index pointé avec insistance ouvrait toutes les portes culinaires...


Par quoi commencer ?



Les tapas sublimes... Avec foie gras, oui madame !

À l'heure du déjeuner, vers quatorze heure, il fallait jouer des coudes pour trouver une place bien placée, près de la fenêtre, toujours un œil sur le paysage, pas loin du chauffage pour le confort. Le déchiffrage des cartes prenait un moment, il y avait tellement de spécialités, on avait envie de tout, l'attente n'avait aucune importance, nous décortiquions le décor du lieu : les jambons pendus, les bouteilles en attente de toutes les couleurs, les affiches au mur... Regarde ceci, regarde cela, ainsi c'était comme ça la vie ordinaire à Séville, nous nous réjouissions de constater que les prix restaient normaux, accessibles aux gens d'ici aussi bien qu'aux touristes, ça n'était pas comme à Paris où c'est le coup de fusil pour le moindre petit crème ou le thé chaud... Les Parisiens devraient se révolter, descendre dans la rue, manifester, crier haut et fort : nous voulons nous aussi profiter de Paris comme des citoyens ordinaires, nous voulons pouvoir flâner aux terrasses des cafés, manger un petit morceau sans nous faire arnaquer... Nous voulons que Paris reste une ville abordable même pour ses habitants... Après les parisiens, je plains les pauvres touristes qui doivent avoir un budget exorbitant pour y vivre quelques jours, tout est si cher dans cette ville... Pour ceux qui ne roulent pas sur l'or, quel sacrifice la visite de notre belle Capitale !


Les jambons sentent bon...


À la bonne vôtre, la fête continue...

À Séville, on peut encore faire partie du décor, manger comme tout le monde, être reçus avec le sourire, pourtant je sais que l'Andalousie souffre avec ses nombreux chômeurs, il faut quand même tirer son épingle du jeu pour vivre sa vie, dans le détail je ne sais pas comment ils font...

Ne parlons pas trop des choses qui fâchent et restons des touristes éclairés, ouvrons les yeux, écoutons du mieux qu'on peut...  J'ai bien vu tous les magasins, les appartements à vendre, à louer... J'ai vu aussi des boutiques qui rachètent votre or à bas prix, comme partout...Ça n'est pas bon signe...

dimanche 26 janvier 2014

La rencontre...



Le délicieux gâteau portugais Pasteïs de nata (Lisbonne)

Un temps gris, plombé, presque pluvieux, un petit frimas d'hiver, voilà un matin qui commence bien !

Aucune importance, il y a le marché qui se tient deux rues plus loin, il est grand comme un grand magasin, les petits étals se tiennent de chaque côté de la rue sous des abris en plastique : oranges, pommes, carottes, betteraves, salades et fruits exotiques... Les poulets exhalent une bonne odeur, ils tournent sur les broches, en plein air, tout le monde en profite, la rue se réchauffe aux herbes de provence... Le charcutier, qui vient du Portugal, se différencie uniquement de ses voisins par les "Pasteïs de nata", délicieux petits flans coulés dans un nid de pâte feuilletée, que l'on mange tièdes... Comme à Lisbonne...

Les poulets nous parfument également au printemps, l'été et l'automne, ils sont toujours là, personne ne s'en plaint, ils font partie de notre paysage urbain, les herbes, l'ail et les pommes de terre nous mettent toujours l'eau à la bouche, il fait des affaires prodigieuses...

Tiens, le marchand de volailles n'est pas là, que se passe-t-il, il est malade ? Espérons ne jamais entendre cela...

Au bout de la rue il y a du monde, bientôt les élections municipales, chacun y va de son couplet, pour les paroles personne n'est avare, je te promets ceci, cela, oui, mais...

Les oranges du Portugal sont merveilleuses, je les ai découvertes l'année dernière chez mon "petit épicier du coin",  il m'avait encouragée à les goûter et je les ai adoptées, elles valent bien les maltaises qui sont déjà là et pour les confitures, il va falloir que je me mette à l'ouvrage, j'ai une grosse "clientèle" qui attend.


J'ai descendu dans mon jardin

Le fleuriste aussi est là en toutes saisons, un vieux de la vieille qui passe la moitié de son temps entre son petit noir arrosé au café d'à côté, et son jardin de trottoir... Il faut attendre un peu c'est tout, il revient toujours... Je vous fais un joli paquet ? Non, pensez donc, pas de tralala, c'est pour moi... Et pour l'arrosage, il connaît toutes les recettes, il suffit de le suivre à la lettre, je vous le dis, il a de la bouteille, il sait comment faire...

Bonjour madame, venez donc par-là ! Ce bonjour-là est bien un peu intéressé, mais l'agrément de la rencontre et du petit sourire fait partie du lot, le commerce de ma rue chante comme il peut, pourvu qu'il tienne le coup, je charge les pommes de terre, les dattes fraîches en branches et la salade, attention de ne pas écraser les petits flans... Les fleurs iront en dernier sur le haut du panier...

Antoine ! Voilà des années que je ne l'avais pas vu, pourtant nous habitons comme qui dirait la porte à côté. Comment vas-tu ? J'ai bien remarqué, à la vitesse de sa réaction, qu'il ne m'avait pas bien remise, zut, le coup de vieux, mais la surprise et la joie sont les plus forts... Nous voilà partis à égrainer les années accumulées, tu t'es remis comment ? Il avait perdu sa femme il y a maintenant une petite quinzaine d'années, il avait beaucoup pleuré, elle lui avait manqué "au début", maintenant il navigue entre ici et là-bas : sa maison de campagne, dans les champs, il n'est pas malheureux, ses enfants vont bien, ses petits-enfants itou... Antoine, tu te sers de Paris ? Pas du tout, je reste ici, je suis un casanier, il avait un sourire qui ne disait rien de plus.

Je suis contente de t'avoir rencontré, vraiment, moi aussi, et il a repris son chemin dans le sens inverse du mien.

J'avais travaillé pendant dix ans avec sa femme, dans mon service, une femme exceptionnelle qui avait franchi les échelons un à un. Comme elle avait des lacunes en orthographe et que lui était directeur d'école, ça faisait quelque fois des humiliations qui étaient bien difficiles à avaler pour elle... Je l'ai vue pleurer, je l'ai consolée comme j'ai pu, elle me brisait le cœur : voyons Jacqueline, ce n'est rien ça, tu peux compter sur moi, ne t'arrête pas là, ce sont les idées qui comptent, après pour les installer sur un papier t'inquiète pas, et elle repartait comme en quatorze... Elle avait de l'avenir.

Longtemps j'en ai voulu à Antoine, et puis aujourd'hui, je lui disais : je suis contente de t'avoir rencontré, et c'était vrai aussi...

Le temps diminue les chagrins, délaye les rancœurs, attendrit les cœurs, combien de fois avais-je vu Jacqueline trembler devant l'homme de sa vie, il lui en imposait... À bientôt Antoine, porte-toi bien, il était raide comme la justice, peut-être qu'aujourd'hui il s'était un peu ramolli avec sa vie, je ne sais pas, passe un bon dimanche...

samedi 25 janvier 2014

Le vieux sac tout neuf !


Des sacs tout neufs

Je ne savais rien d'elle, j'avais juste remarqué en montant dans l'autobus qu'elle se tenait dans un petit coin (la place que je préfère...), les mains gantées, posées délicatement sur un sac en plastique noir, sur lequel je pouvais lire le nom d'une enseigne de la rue commerçante de la ville où j'habite.

Le sac en plastique était impeccable, neuf, l'arrête des plis du soufflet n'avait aucun faux-pli, le sac venait de sortir de la boutique...

J'étais tellement interloquée que j'ai continué à détailler la dame des pieds à la tête, je me disais :  voyons voir, cette femme est plus que méticuleuse, un gros rien conservatrice, puisque ce sac en plastique portait le nom d'un magasin de prêt-à-porter qui avait mis les clés sous la porte depuis plus de vingt-cinq ans !

Tout en elle paraissait également parfaitement neuf, neuf le bonnet de mohair rouge, neuf le manteau marron, neuves les chaussures noires reluisantes, bien cirées, de belle allure, neufs les gants de cuir noir qui avaient ce brillant des paires bien patinées, longuement portées, caressées, souples, bien ajustées aux doigts, une deuxième peau.

J'ai la terrible étourderie de perdre assez souvent un gant des paires que j'aime bien... J'ai eu beaucoup de chance, il m'est même arrivé quelques fois de le retrouver en rebroussant chemin, mais ma petite pile de gants uniques me fait enrager, au bout d'un moment je jette les esseulés avec mauvaise humeur, jamais je n'ai pu retrouver leurs petites sœurs aux puces, jamais... Je ne dis rien des parapluies que je perds aussi régulièrement : comment as-tu pu perdre ce joli parapluie ? Tu ne fais pas attention, me dit ma petite voix, mais rien n'y fait, je perds régulièrement même les beaux parapluies et les gants, je suis distraite...

Comment aurais-je pu garder un sac en plastique un quart de siècle ? Cette dame représentait pour moi une énigme, une fascination totale... 

J'ai connu une femme qui vivait comme ça, dans le neuf à perpétuité, de la cuisinière au sac à main qu'elle sortait du papier de soie à chaque usage, peut-être entretenait-elle avec les objets une espèce de contrat d'immortalité qu'elle ne pouvait avoir avec les humains ? Elle portait de très vieux vêtements qui étaient absolument intacts, neufs, comme sortis de l'usine une heure avant de les porter, nul souci de la mode, elle s'habillait classique mais chic, elle changeait rarement de couleur, c'était uniquement l'occasion qui faisait le larron, et elle s'arrangeait pour que les occasions restent rares..

Moi je n'ai jamais pu faire ça, je suis la reine du délestage, du jetage, du : ça débarrasse, quand un objet usuel ou un vêtement n'ont pas changé de place pendant plusieurs petites années, je me dis : voilà la preuve qu'ils ne me servent à rien, je les donne ou je les expose dans le local à poubelles, candidats libres pour une nouvelle vie...

Tout me revenait en tête en voyant cette femme qui transportait son vieux sac en plastique neuf, je me disais : comment peut-on dispenser une attention si grande, un temps d'entretien si énorme aux objets, sans perdre un temps qui serait plus utile de donner aux gens, à la vie, au dehors, car pour accorder tant des soins aux choses, il faut sans doute redouter la perte de façon un peu obsessionnelle ?

Je me demandais comment cette femme s'organisait pour replacer le vieux sac neuf dans ses plis, le remettre exactement à la même place, comment faisait-elle  pour n'avoir jamais eu le désir, la nécessité d'en changer ? Comment avait-elle fait pour ne pas l’abîmer, le froisser, l'oublier ?

Je l'ai suivie jusqu'au métro, je voulais en savoir plus, et je l'ai perdue de vue... L'énigme restait entière...

mercredi 22 janvier 2014

Les anges et les lumières des églises de Séville... (2)


Magnifique candélabre en argent ciselé


Il y a beaucoup d'églises, de chapelles de styles très différents à Séville, des couvents, des monastères qui méritent une visite si cela est possible, mais quelques jours dans cette ville ne suffisent pas à tout explorer. 


De chaque côté des autels, des anges porteurs de lumière










Les anges qui portent la lumière apparaissent... Se mettent à exister dans le brouhaha du stuc, du marbre et de l'or...



Les anges se glissent partout...

Dans le baroque des églises de Séville, quand vos yeux sont accaparés par l’excès qui rend tout uniforme, il suffit de fixer des points de détails pour ne pas se perdre... Alors, une à une les nuances peuvent émerger de cette exubérance... Il faut prendre son temps... J'ai choisi quelques anges légers, qui ressortaient de ces décors foisonnants...


L'église Saint-Louis-des Français (Calle St Louis, au nord de la ville) est couverte d'angelots de pierre, les clochers en faïences bleue superbes...

Photographier la façade de cette église relève de l'impossible, la rue est étroite, pas de recul suffisant pour avoir une vue d'ensemble, impossible de compter tous les angelots qui s’agrippent aux frontons, corniches et tourelles, cette église au sommet de l'art baroque, construite au début du 18e siècle (classée aux monuments historiques depuis 1946), est fermée au culte, elle est utilisée pour les concerts et les représentations théâtrales, l'intérieur est magnifique...

Ce quartier nord est passionnant, bourré d'églises et de chapelles, à visiter expressément...

L'insolence des églises baroques surprend et questionne, mais elles continuent à nous émerveiller, qui pourrait imaginer de tels fastes aujourd'hui ? De bonne source (Carnet du Pélerin), 77 % des Espagnols se déclarent catholiques, 53 % disent n'aller que très rarement à la messe, l'église reste très présente dans la vie sociale.

Fin décembre, j'ai pu voir dans de nombreux lieux religieux ou laïcs toutes sortes de très belles crèches (Belen). Les files d'attente étaient impressionnantes, les familles : parents, grands-parents enfants, tous attendaient patiemment leur tour, comme devant les vitrines de Noël. Ils étaient venu admirer ces crèches magnifiques, toutes différentes les unes des autres, les artistes créateurs de ces crèches avaient représenté les habitants de Jérusalem dans des scènes de la vie (supposée) quotidienne : marchands, artisans, promeneurs, animaux domestiques. Puis toute la lumière s'intensifiait autour de l'enfant Jésus dans son berceau de paille. Le succès de chaque crèche était proportionnel à l’ingéniosité des mises en scène, plus il y avait de détails, de profondeurs de champs, de perspectives vertigineuses dans le paysage, plus le public manifestait son plaisir : regarde là-bas très loin, il y a des gens derrière la porte de la maison, quel prodige,  des oh ! et des ah ! fusaient, nous étions vraiment à Jérusalem, pas de doute... Ces crèches, véritables spectacles de Noëls, étaient très appréciés des Sévillans... Je n'ai donc raté aucune crèche, j'ai attendu mon tour comme une authentique payse...










Les crèches de Séville

samedi 18 janvier 2014

Les églises de Séville...Premiers regards...


Je ne sais plus du tout dans quelle église j'ai pris cette photo

J'arrivais dans cette belle ville avec quelques chiffres en tête : 700 200 habitants, un tramway (2007), une ligne de métro (2009), des dizaines de lignes de bus (privées), 2500 bicyclettes en location, un aéroport à 10 km. L'Andalousie reçoit 7 millions de touristes par an, elle est le premier producteur d'olives en Europe. Il y a à Séville 192 000 logements vacants (sources Immobilier-finance-gestion over-blog.com), et 37 % de chômage, taux plus élevé que la moyenne nationale (9/2013 source: datosmacro.com).

Après nous verrons sur place, je vais me laisser toucher par ce que je vois.

En premier, les orangers bien sûr, donnant aux rues un air de fête sans cesse renouvelé... Tous les jours j'imaginais le printemps avec les fleurs et les odeurs... Ces fruits magiques couleur de faïence, dans le coeur de la ville, étaient une révélation

J'ai vu beaucoup d'églises à Séville, pourtant pas autant que j'aurais voulu, il fallait tenir compte des horaires d'ouverture du matin et du soir, cavaler à droite et à gauche, faire des choix, j'ai presque fini par toutes les mélanger, comme j'avais fait à Venise les premières années...

Les églises de Séville furent une découverte exceptionnelle pour moi, je ne m'y attendais pas. Les autels, enfouis dans le bois doré et polychrome rutilant, me donnaient l'impression de géodes géantes recouvertes d'or, d'immenses grottes sacrées. Les figures des Saints, habillées de pied en cape, velours brodés d'or ou d'argent, brocards, dentelles, pierres précieuses, les faïences (azulejos), les fresques murales, tout concourait à faire exploser le baroque Sévillan. Celui-ci offrait aux croyants, aux laïcs, aux amateurs d'art, un spectacle de la passion plein d'opulence ostentatoire et de ferveur... Les richesses rapportées des anciennes conquêtes d'Amérique se percevaient jusque dans le travail d'écaille de tortue ciselée d'argent dont sont faites les nombreuses grandes croix que porte Jésus. Les décors précieux participent à l'extraordinaire richesse ornementale des monuments du baroque (fin 17e à fin 18e siècle)s Sévillan.

Je vous laisse le soin d'approfondir la connaissance de cette période, bien au delà de mes petits repères...

Je vous livre dans le désordre mes promenades et mes impressions, je n'ai pas d'autres ambitions que le partage. L'histoire de Séville c'est une autre histoire, ce n'est pas un séjour d'une semaine qui va m'enseigner tout ce que je devrais savoir... Je vous raconte ce que j'ai vu...


La grotte en or...


Un Christ sous la croix en écaille de tortue et d'argent 


Une autre grande croix recouverte d'écaille de tortue ciselée d'argent, le visage douloureux du Christ



La Vierge habillée de brocards d'argent et d'or


Ecrin d'argent


De pierres précieuses (émeraudes)



Encore et encore l'argent ciselé étincelant, les tissus brodés et les fleurs pour la Vierge


Une Vierge qui s'envole dans des atours polychromes, en apesanteur !

Bien sûr, au premier coup d’œil j'ai bien vu que tout cela était embarrassant, richesse contre pauvreté, la partie était très inégale... Et puis après je m'y suis faite, nous vivons une autre époque ou les proportions sont peut-être mieux assorties ? Mises en scènes trop luxueuses, bien sûr, qui peuvent en agacer certains et en émerveiller d'autres... Personne ne peut rester insensible au luxe des églises de Séville...

Je me suis laissée porter par cette passion, cette dévotion qui régnaient ici aux offices ou entre les offices, les gens priaient sans se soucier de l'or et l'argent... Sous les autels les bougies tremblaient...

Sitôt l'office terminé les lumières s'éteignaient, je n'avais que quelques petites minutes pour tout saisir, l'or et les bois dorés devenaient comme du bronze, l'argent baissait d'un ton, les couleurs éclatantes se mélangeaient au noir.

Une descente de croix me surprit, le Christ était descendu doucement, juste maintenu par des bandelettes de tissu blanc, je sentais tout le poids de la douleur, je me suis dit : c'est sûrement comme ça qu'on descendait les crucifiés, avec précaution... Je ne sais pas, nul ne le sait...


La descente de croix


Prochainement : les anges et les lumières des églises de Séville...

mardi 14 janvier 2014

Les orangers de Séville !


L'oranger penché de Séville

Jamais je ne l'aurais imaginé : voir des orangers en pleine ville en hiver, c'est cette première vision qui causa mon émerveillement, qui me transporta d’allégresse quand je suis arrivée à Séville. Toutes les rues étaient plantées de ces arbres magnifiques, en décembre ils sont remplis de fruits, luisants et d'une belle couleur vive...

Bien sûr j'ai tout de suite été tentée d'en connaître le goût, et dès que j'ai pu, j'en ai ramassée une par terre. La déception n'a pas été grande, car j'avais déjà eu ce coup au cœur à Lisbonne, j'avais déjà essayé de croquer un fruit, j'avais déjà senti l’âcreté de la pulpe... À Séville aussi, les oranges sont amères...

Elles sont là uniquement pour la beauté, et moi j'aime bien.


Les orangers de Séville

Tous les matins j'arpentais les rues de ce Paradis artificiel, je cherchais dans quel sens je pourrais bien prendre en photo ces arbres fruitiers, j'étais fascinée par les orangers... Je marchais en levant la tête, ce qui pouvait être propice aux entorses, et pire encore...


Dans le patio de l'Alcazar

Pas une rue (ou presque) sans son oranger obsédant et merveilleux... Le soleil et la chaleur de Séville, emmagasinés pendant la belle saison, avaient fait pousser là ces fruits lourds et parfaits, des guirlandes grandioses  qui scintillaient toute la journée, sans électricité... Un cadeau de Noël subtil et inattendu pour la parisienne que je suis ! J'étais comme le petit enfant qui découvre que les salades ne poussent pas dans des sacs en plastique...



Devant le mur d'une église

Les couleurs de Séville forment avec les orangers une palette sidérante et simple : ocre rouge, ocre rose, et ocre jaune... Il y a tant de voitures en stationnement que le recul devient difficile pour prendre de pied en cap un bel oranger, souvent  j'ai pesté à cause des quatre roues en stationnement constant le long des trottoirs, qui m'ont fait bien des fois renoncer à faire le portrait des plus beaux arbres... L'ocre jaune des crépis de certaines églises et maisons est la couleur de la terre de Séville, on la découvre de ci, de là, sous le bitume à l'occasion de travaux de voirie en cours dans des petites rues...

Je ne me faisais aucun souci pour le travail que devait occasionner aux cantonniers la chute des fruits dorés, qui commençaient à tomber début janvier, aux pieds des arbres ou dans les caniveaux : ils savent, ils ont l'habitude, tant mieux... Profitons de ces perles de la nature...


Le mur d'entrée, sublime de l'Alcazar, comme la terre des rues



Le soleil, les oranges, et la piété de Séville


Dans la lumière de l'hiver, les murs flambaient avec passion...




Jusqu'au soir, le soleil harmonisait les couleurs de Séville, une splendeur...


J'en ai encore les larmes aux yeux, un spectacle aussi foudroyant ne pouvait que me rester au cœur. Souvent j'ai pensé : comment ça doit être ici au printemps,  la couleur, le parfum des fleurs d'orangers ?

Si vous passez par-là un jour d'hiver, où tout est jaune, orange, rose, juste le bleu du ciel par dessus les toits...Retenez votre souffle, ouvrez vos yeux, revenez à toutes les heures de la journée, vous demeurerez enchantés de ce prodige, les couleurs s'illuminent, se précisent et en fin de soirée, avec les derniers rayons du soleil, les murs mats se vernissent comme des faïences...


Les ombres et les lumières...



Dans la recherche des couleurs de Séville, au musée des Beaux-Arts de la ville, j'ai vu la puissance de la palette de Francisco de Zurbaran (1598-1664) 


Le grenadier de l'Alcazar, une fulgurance chromatique !

La ville est baignée du soir au matin par la douceur et la violence des couleurs qui claquent, un contraste que j'ai retrouvé dans le Christ en croix de F. Zurbaran, un chef-d'oeuvre, violent, épuré, satiné et mordant, douloureux et cruel... 



Le Christ en croix de F. de Zurbaran, le "Caravage espagnol"... Un dépouillement, une extrême rigueur, une grande dévotion...