mardi 15 novembre 2016

Venise, j'y reviens...Toujours ! (2)


 L'Adoration des Mages - Federico Zuccari (1564) 

Cette année, comme toutes les autres, je suis allée revoir l'église de San Francesco della Vigna. Chaque année, comme toutes les autres, j'ai découvert des beautés nouvelles, dissimulées dans un coin plus sombre, laissées de côté en passant trop vite, des beautés que je n'avais jamais vues jusqu'à ce jour, je ne sais pas vraiment pourquoi.  Il me faut des années et des années pour faire le tour d'une église, il y a tellement tellement à voir dans ces lieux : un marbre sculpté, un tableau, un vase de fleurs bien disposées sur l'autel, un rai de lumière qui s'incruste au sol, un lustre qui clignote, un détail cent fois ignoré et qui un jour me saute aux yeux. Les églises de Venise sont des sources inépuisables de rencontres esthétiques.

Quand je suis arrivée à San Francesco della Vigna, lieu pourtant familier, j'y suis entrée avec un regard neuf, pas facile quand vous y venez depuis des lustres. Tout de suite à gauche de l'entrée principale, après avoir franchi la belle et blanche façade de pierre d'Istrie d'Andrea Palladio (1562), la petite chapelle Grimani me parut toute nouvelle. Comment était-ce possible de ne l'avoir pas mieux remarquée ? Deux fresques de Federico Zuccari, l'une d'elle (l'Adoration des Mages) est peinte à l'huile sur du marbre, restaurée il y a quelques années,  certains corps et visages restaient cependant un peu effacés, éclairée par un projecteur pour quelques centimes d'euros, elle me faisait toujours grande impression. La douceur des couleurs, un peu passées, me fit penser à de l'aquarelle : transparente, légère, lumineuse, douce, une vraie beauté que j'avais laissée dans l'ombre. J'y suis revenue plusieurs fois au cours de mon séjour, je me suis contorsionnée dans tous les sens avec ma tablette pour la saisir aussi bien que je la voyais, mais je n'y suis pas du tout parvenue... À chaque visite, j'ai admiré la puissance de cette composition qui, grâce à ses formes et ses couleurs, invite ses admirateurs à grimper jusqu'au ciel, immensément bleu, repris en écho au premier plan de l'oeuvre par la robe de la Vierge et le manteau du mage noir. Tout en haut brille l'Esprit Saint... Au loin passe un cavalier, sans doute une allégorie ? Deux anges accompagnent l’événement avec grâce, la vieille architecture vacille, s'écroule, la légende chrétienne laisse espérer aux croyants des jours exceptionnellement nouveaux et heureux. Les artistes talentueux n'ont pas leur pareil pour inventer des réalités légendaires... Comment y résister ? Moi qui n'ai aucune croyance religieuse, je reste en admiration devant les richesses chromatiques qui animent les matières et les corps, l'harmonie parfaite entre les couleurs qui peuvent même se heurter en chantant, comment échapper à ce monde de douceur et de beauté, tout paraît si simple, si essentiel, si éternel... Magnifique ! Sur l'autel, deux vases en cuivre rutilant achevaient le prodige devant mes yeux. Ces moments précieux passés au pied de belles œuvres "oubliées" (par moi) m'enchantèrent.


La Résurrection de Lazare - Federico Zuccari (1561)


L'autre fresque, la Résurrection de Lazare, dans la même chapelle, sur le mur opposé, du même artiste, de la même période (17e), attira aussi mon regard. Une vraie fresque faite à la peinture à l'eau sur un mur en pierre, d'une telle fraîcheur ! Mais elle était placée trop haut, il fallut que je me mette sur la pointe des pieds, pour me rehausser d'un rien, totalement insuffisant pour prendre une belle photo, pas de recul... Lazare ressuscité, encore un mystère pour moi, mais la même pâte, la même fluidité, la même aquarelle, la même admiration !

Je n'ai pas voulu quitter l'église sans glisser une petite pièce dorée pour actionner le projecteur sur la Vierge à l'Enfant de Giovanni Bellini.


La Vierge à l'Enfant Giovanni Bellini (1507), ma vilaine photo


Empruntée sur Wikipedia

Sur ma photo les couleurs sont plus conformes à l'original, sur la photo de Wikipedia on a une meilleure approche du sujet, plus de détails, combien ai-je de photos de ce tableau ? Je ne sais plus, mais beaucoup, c'est comme un réflexe, et si cette fois-ci, je faisais mieux que les dernières fois ? Non, à chaque passage je déclenche...

Comme l'on fait lors de visites à des proches que l'on connait par cœur, on prend son temps, on savoure les retrouvailles, tout est simple avec eux, il suffit de s'embrasser et de se regarder dans les yeux, sourire... À San Franscesca della Vigna, c'est exactement pareil, je prends mon temps pour les retrouvailles, avec le sublime tableau sur bois d'Antonio da Negroponte. Sa Madone et l'Enfant Jésus, qui trône sur un petit autel du bras droit du transept, est toujours plongé dans le noir, il faut vraiment savoir qu'ici se trouve une merveille, il faut vraiment mettre une pièce pour éclairer le tableau, il faut vraiment le regarder longuement, s'en pénétrer pour le garder à jamais et prendre des photos, la hauteur est bonne, on peut y aller, plus on revient à Venise et plus l'envie d'en conserver chaque détail me tenaille... J'ai toujours l'impression d'oublier quelque chose, et c'est vrai, le décor est tellement riche, les codes, les symboles chrétiens y sont si foisonnants... Restauré il y a quelques années, ce trésor est revenu à sa place pour mon plus grand bonheur...





La Madone sur le trône, admirant l'Enfant Jésus - Antonio da Negroponte (1470)

On peut même dire que c'est à cause de Negroponte que j'ai oublié les Federico Zuccari ! Puisqu'il faut un coupable pour me justifier, voilà, oeuvre d'art contre oeuvre d'art, je n'y vais pas de main morte... 

Lors de mes visites, j'ai toujours remarqué la présence du même moine franciscain qui circule dans les allées, un mot aimable à chaque visiteur, un sourire, l'explication que vous cherchez, une indication concernant son église, l'accueil est fraternel...

San Francesco de la Vigna ne ressemble à aucun lieu de Venise, il reste dans le quartier un peu de vie ordinaire, des commerces de proximité, des bistrots populaires, mais pour combien de temps encore ? Combien de temps les habitants pourront-ils résister aux sirènes de l'immobilier, et de Airbnb ?

En attendant, j'en profite...

jeudi 10 novembre 2016

Venise, j'y reviens... Toujours !



Un de mes coins préférés

Cet été, après Venise, j'ai traîné mes guêtres en Bourgogne, en Indre, en Haute-Marne, en Avignon, je ne savais plus où donner de la tête pour vous parler des belles choses que j'ai vues...

Pour finir, je suis revenue dans ma ville : j'y ai rencontré beaucoup de gens, vu quelques beaux films, quelques expositions aussi, fait quelques posts, je ne peux pas vous parler de tout, mais tout m'a intéressée...

Mais aujourd'hui je parle de Venise, exclusivement !

Les rencontres : à Venise c'est comme ça, je rencontre des tas de gens, sur les bancs, sur toutes les places où je peux m'asseoir. Quand j'ai rencontré Jack et Sophie, sur le grand Campo Santa Margherita, c'était sur un banc rouge, ils étaient tellement fatigués qu'ils n'arrivaient plus à se parler (j'ai gardé les vrais prénoms car ils sont trop beaux, ils n'y verront rien de choquant, j'en suis sûre). Ah, non ! Moi je n'en peux plus, j'ai envie de dormir, tu te rends compte, ça fait cinq heures que l'on tourne en rond, on n'a pas vu grand chose finalement. Jack scrutait la carte, essayait de se repérer, il envisageait de sortir du Campo en faisant encore un grand détour, qu'il pensait rapide, bien sûr... Au bout d'un moment, je me suis permise de leur dire : vous n'êtes pas loin d'un arrêt de vaporetto, juste cinq minute à pied, vous prenez à droite, puis à gauche après le pont, vous longez le côté droit de l'église et vous y êtes ! Ils n'y croyaient pas tout à fait, mais ils avaient tort, quand je les ai vus prendre la bonne direction, j'ai répondu à leur grands signes d'adieu par des grands signes de bonne route !


Avec Sophie et Jack, nous avons parlé de Venise, et aussi de leurs beaux voyages à travers le monde entier, passionnant ! Et nous sommes toujours revenus à Venise : voyons, que voulez-vous voir absolument ? Ceci, cela, Sophie voulait des musées, Jack se ralliait à tout, n'oubliez pas le Palais des Doges, c'est absolument indispensable et magnifique, le Musée de la Marine, indispensable et magnifique, le musée Mocenigo, indispensable et magnifique, le palais Fortuny, indispensable et magnifique, et la Ca' Rezzonico, perdez-vous, mais cela, vous savez le faire, c'est indispensable et magnifique, nous avons bien ri du catalogue... Ils avaient heureusement encore plein de jours à s'émerveiller... Sophie et Jack, je pense encore à vous avec émotion... Baci !



Le beau musée Mocenigo et sa merveilleuse ambiance


Mocenigo, ambiance masque et verrerie


Ma fresque préférée chez Mocenigo, de G. Tiepolo à Rezzonico



Le Palais des Doges dont je ne me lasse jamais


Ombre et lumière au Palais des Doges

J'ai rencontré Aloïs, ce très jeune homme, sur le campo du ghetto, je mangeais avec plaisir une belle glace bacio-pistache, un régal, j'avais trouvé un petit rebord d'escalier à l'ombre pour déguster, après avoir pris des tas de photos... Avec Aloïs, qui renonça même à fumer une cigarette pour ne pas me déranger, nous avons eu une belle conversation sur le genre humain : la communication, l'entraide, l'aide, et puis un peu de Venise, il était là pour quelques heures, il prenait le train le soir même, mais il avait de bonnes jambes, il allait encore en voir de belles choses, sa journée n'était pas terminée... Merci Aloïs pour votre conversation si stimulante, si spontanée, si attentive, baci  Aloïs !

Cette année à l'occasion des 500 ans du ghetto, une troupe américaine, Colombari, répétait une pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, cette pièce était donnée pour la première fois (pour six représentations) depuis sa création théâtrale au 17e siècle. Le Marchand de Venise reste pourtant une pièce controversée : antisémite ou pas ? That is the question ! Finalement, je ne suis pas allée voir la représentation, car mon anglais est si mince...


Répétition au ghetto de Venise

Pour la première fois aussi, je remarquais les "Stolpersteine" que je n'avais jamais vus en 15 ans de visite ! Ces petits pavés de cuivre mis par les proches des victimes, ou par des associations constituées, devant les domiciles où des personnes juives avaient été "embarquées" pour la déportation...


La répétition




Les clous, "Mémoire" de cuivre 


Il y avait sur le campo du Ghetto Nuovo une ambiance agréable, j'entendais les acteurs qui répétaient avec enthousiasme, il y avait peu de public pour les entendre, mais il y avait un air shakespearien, le drame se tramait en coulisse, il faisait beau, doux, j'avais tout mon temps...

Ça change, ça bouge dans le quartier, des boutiques nouvelles, des artisans s'installent, c'est plus beau, plus intéressant. La grande synagogue d'été avait ouvert sa grande fenêtre, et je pouvait voir l'intérieur de ce vaisseau superbe que je n'ai jamais visité.... Une très belle journée.

En revenant sur le Grand Canal, j'admirais sur ma gauche le beau Campiello del Remer, quelquefois désert, souvent bruyant, en soirée, quand le monde touristique s’agglutine un verre à la main.



Ce soir-là il n'y avait personne, que ces deux jeunes femmes penchées sur les dernières nouvelles... Un verre aux pieds.

Arrivée à ma station, un beau spectacle m'attendait, le Grand Canal était tout rose, cela ne dura que quelques minutes :






Sur le Grand Canal, le rose est mis...

Je reviens à Venise dans mon prochain post, à bientôt les visiteurs...