dimanche 11 décembre 2016

Les souvenirs de trottoir...




Il faisait extrêmement beau, ce qui est très mauvais pour la pollution qui stagne, mais bon, il faisait extrêmement beau, c'était décidé, j'irai faire un tour aux Puces : la grande vadrouille, le rince-méninges, la chasse à l'insolite, il faisait beau, j'avais le temps, l'envie...

Mais c'était sans compter sur les rencontres de trottoir et justement, des rencontres, j'en ai faites. Jamais nous ne nous étions parlé autant, pourquoi, comment, nul ne le sait... : bonjour, il fait beau, oui, je vais au cimetière, ah ! Vous allez voir votre mari ? Oui, mais je vais voir aussi mon fils. J'avais le souvenir que cette dame avait un fils, mais deux ? Ah ! Vous avez deux fils... Oui, mais l'aîné est mort il y a très longtemps...

Je suis restée en attente trente secondes en me demandant par quoi je pourrais poursuivre notre conversation, mais c'est elle qui me précéda...

J'ai deux fils, mais le grand est mort il y a 20 ans, il avait attrapé le sida dans les années 80 et a survécu jusqu'en 2000, si vous saviez comme il a souffert, il n'y avait pas les trithérapies à l'époque, il était homosexuel...

La vie de son garçon se déroulait à nos pieds, jamais elle ne m'avait parlé de tout ça, son mari était mort après son fils, il était cardiaque avec transplantation, ça a bien marché des années...

Mais vous savez, un jour mon fils est descendu de sa chambre... Un matin, il avait dix-sept, dix-huit ans, il m'a dit maman il faut que je te dise quelques chose : je suis homo !

Toute ma famille l'a accepté sans problème, mon mari le premier, on n'a jamais fait de différence. Un jour, il a eu l'idée de se faire contrôler dans un institut médical  parisien, il avait été contaminé ! C'était un bon garçon, et doué avec ça, excellent pâtissier, il travaillait bien, aimait son métier.

Je l'écoutais, écoutais, écoutais, pourquoi ça se passait ce matin, avant que j'aille aux Puces, je ne sais toujours pas, je me disais : que vais-je lui dire pour la réconforter ? Mais elle n'avait pas besoin de réconfort, elle était forte à présent, elle parlait tranquillement et allait au cimetière leur faire un petit coucou. Bientôt on pourra faire une belote, dit-elle en souriant... Elle avait digéré ses morts, ne pleurait peut-être plus, mais elle pouvait en parler...

Elle eut une belle phrase pour terminer notre conciliabule : vous savez, dans les familles, il y a toujours des malheurs dont on ne parle pas souvent, mon fils et mon mari, ce furent de grands malheurs.

Juste un peu avant le début de notre conversation, nous avions entendu la voix de cet homme qui criait : "homme" (voir mon post du 28/10) et faisait aussitôt son signe de croix, il répétait inlassablement le cri et les gestes partout dans la ville, sur son balcon. Il était revenu de l'hôpital, elle le connaissait, il est gentil, il a dû encore oublier de prendre ses médicaments, mais je plains ses voisins... Je savais aussi de quoi elle parlait, sans méchanceté...

Elle partit gaiement au cimetière, elle avait sûrement fixé le rendez-vous, elle s'en réjouissait...

Après cette dame, je rencontrais encore du monde, des : bonjour, bonsoir, comment allez-vous... J'en répétais plusieurs, des courts, des longs, si bien que l'heure des Puces étaient passée, bien passée, je suis allée faire des courses et je suis rentrée à la maison, je n'avais pas trouvé le temps long, j'irai un autre jour, voilà tout...

Moi qui espérais l'insolite, j'avais reçu cette histoire avec beaucoup d'émotion...

6 commentaires:

ELFI a dit…

mon' internet' est de retour...ton histoire est touchante...bises et à bientôt...

Brigitte a dit…

Tu sais provoquer les confidences et aussi les écouter !
Touchante histoire . Bonne et belle journée
Bises ensoleillées

Danielle a dit…

Chère Elfi : vive internet !

Merci à toi pour tes mots.

Bises aussi à toi et à très vite.

Danielle a dit…

Mais oui Brigitte, tu as raison, c'est comme ça que ça se passe pour moi dans la rencontre.

J'en prends toujours de la graine au passage...

Cette dame n'était pas triste, elle avait son petit rendez-vous au cimetière, il faisait beau...

Grosses bises à toi.

Marie Claude a dit…

C'est vrai ce que dit Brigitte,tu attires la sympathie,l'envie des gens de se confier....
Tu sais être à l'écoute et tu en retires beaucoup,je te comprends.
Emouvante cette rencontre,cette dame a beaucoup de courage et a réussi à "faire son deuil" comme on dit, et elle arrive même à présent à plaisanter.
Tu sais j'aime beaucoup ta photo,toute simple mais réussie!
Les trouvailles aux puces seront pour une autre fois,je pense que tu as malgré tout passé une bonne journée.

Des bisous du soir Danielle,

Danielle a dit…

Marie Claude, je ne sais pas ce qui se passe, mais je laisse toujours le temps pour que des paroles puissent passer et souvent elles passent... De bouche à oreilles :-))

Oui, très émouvante cette dame et très juste...

Merci pour la photo, je l'ai prise au printemps dans une rue de ma ville, j'ai trouvé beaux les coquelicots:-)

Oui oui Marie Claude, tant pis pour les puces, une autre fois...

Bises du soir àtoi.